Huit hommes à l'heure du choix



Le film de Xavier Beauvois sorti en septembre 2010, "Des hommes et des dieux", met en image le choix radical qu'ont eu à faire huit hommes, dans un contexte particulièrement difficile, d'aller jusqu'à risquer leur vie. Un film où l'on peut relire l'itinéraire qui conduit à faire un choix vraiment libre.




Le film s’inspire de la vie des moines cisterciens de Tibhirine (Algérie) de 1993 à leur enlèvement en 1996.
Le film s’inspire de la vie des moines cisterciens de Tibhirine (Algérie) de 1993 à leur enlèvement en 1996.
A Tibhirine, en Algérie, les moines vivent modestement en harmonie avec les villageois musulmans, partageant leurs fêtes et leurs peines, sous la conduite bienveillante du père abbé, le Père Christian, magnifiquement interprété par Lambert Wilson.
Quand le pays est plongé dans la violence aveugle et cruelle d’extrémistes islamistes, menaçant directement la vie de tous les étrangers présents dans le pays, la communauté est bouleversée par un choix radical. Faut-il fuir ? Rester en acceptant la présence de l’armée dont les actions sont pour le moins équivoques ? Ou rester tout simplement, en continuant de vivre auprès de la population locale et de la soutenir au risque de se voir enlever sa vie ?

Le père abbé ne peut confisquer le choix de ses frères : chacun doit embrasser librement son choix.
Le père abbé ne peut confisquer le choix de ses frères : chacun doit embrasser librement son choix.
Chacun, dans la communauté, demande à faire entendre sa voix. Les moines ont beau être obéissants, il craignent que le père abbé ne prenne seul une décision qui les engagent tous, sans laisser à chacun la liberté de faire un choix personnel en son âme et conscience. Pourtant, comme le confie le père Christian, ce choix il l’ont déjà fait quand il ont choisi leur mode de vie : renoncer au monde pour prier, se mettre au service des pauvres et de la paix. Il ne s’agit donc pas pour ces huit hommes de faire un choix, mais d’embrasser pleinement et librement ce choix, ou de le renier.

Or au moment où ils se retrouvent projetés dans cette situation, la plupart sont incapables d’une telle réponse. On pourrait comparer cette situation à la formule laconique "pour le meilleur et pour le pire" que l’on associe au mariage et à l’amour en général, qui est rarement prononcée ou souhaitée quand c’est l’heure du "pire". Quand on choisit de vivre avec une personne et que tout va bien, personne ne s’en soucie, mais comment réagit-on quand survient la difficulté, surtout la vraie difficulté ? Dans la peur partagée par tous, trois frères sont bouleversés au point de vouloir fuir. Ils illustrent trois sentiments qui sont à l’origine de leurs doutes.

De la difficulté du choix réel

Frère Christophe voulait donner sa vie mais est-il prêt à le faire, là et maintenant ?
Frère Christophe voulait donner sa vie mais est-il prêt à le faire, là et maintenant ?
Christophe, le plus jeune, souffre dans son corps et semble lutter pour trouver une réponse qui lui apportera la paix. Quand il se confie au Père Abbé, il lui rapporte que déjà enfant, il rêvait d’être missionnaire. Il semble que lorsqu’il a fait le choix de se donner, une part d’imagination se soit greffée dans son choix. Il aimait se voir moine, il aimait l’image d’un don de soi radical pour les autres et pour Dieu.

Cela ne l’a pas empêché de faire un vrai choix, mais cette part d’imaginaire a peut-être occulté des questions ou des doutes. Peut-être cet imaginaire lui a-t-il fait vivre ses années de moines légèrement à côté de ce qu’il aurait dû vivre, un peu comme en hypnose ? Aussi face à la situation réelle, Christophe est désarmé. Il aimait l’idée, il ne sait pas s'il a vraiment envie de la vivre maintenant qu’elle se présente à lui.

Ai-je fait le bon choix ?

Garder une issue de secours au cas où le choix serait plus difficile que prévu ?
Garder une issue de secours au cas où le choix serait plus difficile que prévu ?
Paul, lui a des regrets. Il a gardé dans sa tête sa vie d’avant, et il semble avoir mis son pied dans la porte pour ne pas qu’elle se renferme complètement, pour garder une porte de sortie, une issue de secours au cas ou son choix serait plus difficile que prévu. Il avance sans être totalement disponible, à chaque pas, il regarde en arrière pour s’assurer qu’il garde son issue de secours. Il garde son trésor jalousement, dans le secret, son assurance, son lien. Aussi face au danger pour sa vie, son habitude de se retourner l’empêche de faire face sereinement.

Célestin, quant à lui, a peur, tout simplement. Peur de mourir, peur de souffrir. Certainement comme tout ses frères, mais chez lui cette peur le paralyse. Elle lui fait perdre ses moyens. Quand un groupe armé s’introduit en arme dans le monastère pour prendre des médicaments, tous sont tendus, mais pour Célestin c’est trop dur. Cette peur l’envahit, dirige tout son être, occulte tout raisonnement, prend toute la place.

Prendre le temps pour re-choisir

Le temps de la réflexion, personnelle et collective, est salutaire.
Le temps de la réflexion, personnelle et collective, est salutaire.
A l’invitation du frère Amédée, tous prennent le temps pour réfléchir avant de prendre la décision de partir ou de rester.
Ce temps est salutaire pour tous. Les premières réactions, motivées par la peur extrême occultent la vraie question comme en témoigne la réaction de Christophe qui refuse de participer à "un suicide collectif".

Le quotidien vécu par ces moines, les rencontres, la réflexion et le dialogue vont leur permettre à tous de remettre les choses dans le bon ordres. Passer d’un sacrifice idiot, d’un désir déplacé de martyr à une exigence d’amour pour leurs amis algériens, à un refus de la violence.

Le film tout entier participe au temps tel qu’il est vécu par ces moines. Les journées sont rythmées par les offices, le travail, les temps de rencontre. Le père Christian lui-même donne cette clef, c’est en prenant du temps, en restant ancrés dans le quotidien, qu’ils auront pu refaire ce choix : non pas de mourir, mais de rester auprès de ceux à qui ils ont été envoyés. Ainsi Christophe re-découvre son choix de devenir moine, Paul réalise qu’il appartient pleinement au monastère et que toute sa vie y est comblée. Célestin découvre combien son choix ne le regarde pas lui seul, mais qu’il implique aussi d’autres personnes. Les gens du villages, ses frères, pour qui il compte et qui ont besoin de lui.

La liberté, c’est le choix

Déjà donnés aux autres, certains n'ont plus peur de la mort.
Déjà donnés aux autres, certains n'ont plus peur de la mort.
Au milieu des turpitudes et des angoisses, un frère semble poursuivre sa route, "sans ombre ni trouble au visage". Non qu’il n’aie pas peur, mais il semble avoir épousé son choix de se donner jusqu’au bout, et de le vivre à chaque instant et sans concession. Frère Luc, le médecin, admirablement joué par Michael Lonsdale, affiche sans complexe sa conviction et sa confiance. Entièrement dévoué au soin des autres, la question d’un éventuel départ ne l’effleure même pas. Sa quiétude tranche avec l’angoisse de ceux qui doutent.

Il se définit lui même comme l’homme libre, n’ayant plus peur de la mort. Son choix de se donner radicalement au service des hommes et des femmes qui lui sont envoyés, au service de leur santé, de leurs soucis, et même de leurs chaussures, il le vit chaque jour. Ainsi il nous montre le chemin de la liberté intérieure.

Re-choisir chaque jour de devenir ce que nous sommes.
Re-choisir chaque jour de devenir ce que nous sommes.
Pour arriver à cette paix et à cette liberté intérieure, le personnage du Père Christian nous guide : re-choisir, chaque jour, pour devenir un peu plus chaque jour ce que nous sommes, pour progresser petit à petit vers, mais progresser toujours. Re-faire le choix comme deux personnes qui s’aiment doivent chaque jour se re-choisir pour faire grandir leur amour.

Lire aussi : Savoir faire des choix
Cinéma : Des hommes et des dieux



Stéphane Rapp

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