Fabrice Hadjadj : comment parler de Dieu aujourd'hui ?



Le philosophe français d'origine juive Fabrice Hadjadj est passé subitement de l'athéisme à la foi chrétienne. Dans un livre qui a obtenu le Prix Spiritualité 2013, il pose cette question dérangeante : "Comment parler de Dieu aujourd'hui?" Est-ce un sujet à placer entre la dernière coupe d'Europe et le prochain bulletin météo ?




Fabrice Hadjadj / photo : wikimedia
Fabrice Hadjadj / photo : wikimedia
Fabrice Hadjadj se présente comme "juif de nom arabe et de confession catholique". Né en 1971 dans une famille de confession juive, ses parents ont été militants révolutionnaires maoïstes en mai 1968.

Athée et anarchiste durant son adolescence, il a même développé une pensée nihiliste avant de se convertir au catholicisme alors qu'il avait une vingtaine d'années ; c'était face à une statue de la Vierge Marie dans l'église Saint-Séverin à Paris…

Une question de communication ?

Fabrice Hadjadj a basculé d'un coup du côté de la foi et, ayant été lui-même athée, il sait ce que signifie l'incompréhension face au message chrétien, voire la colère, car cette foi remet presque toujours en cause un mode de vie. Au cœur de son livre Comment parler de Dieu aujourd'hui, il s'interroge donc sur la "parole sur Dieu" à porter, une parole qui peut ouvrir des horizons ou au contraire enfermer. De plus, quand il s'agit de Dieu, les réactions sont souvent  passionnées !

Il commence par un acte d'humilité : "je dois le confesser pour ma honte, je ne domine absolument pas mon sujet… je ne le comprends même pas… C'est plutôt lui qui me domine et me comprend."D'ailleurs, pour parler de Dieu, pas de technique d'action imparable, pas de stratégie publicitaire, en tous cas. Avant de parler du «comment», il faut surtout évoquer le «pourquoi», les fondements de la foi, sans quoi il est illusoire d'en parler à d’autres : "Mettre le comment avant le pourquoi fait insensiblement succomber à cette fascination de la télécommande où il suffirait d'utiliser quelques outils de communication adaptés pour convaincre. Ce serait "l’Evangile plus le multimédia, la Face de Dieu plus Facebook, le Saint-Esprit plus Twitter… »

Ecoutez Fabrice Hadjadj présenter lui-même son livre :

Ni athéisme, ni fondamentalisme...

Fabrice Hadjadj : comment parler de Dieu aujourd'hui ?
Homme de rencontre et de respect, Fabrice Hadjadj est revenu de l'athéisme et met en garde aussi contre l'autre extrême qu'est le fondamentalisme. En effet, le fondamentaliste utilise le mot "Dieu" comme une réponse à toutes les questions, se dispensant de réflexion : "C'est le couteau suisse et la panacée, l'absolu sésame et le suprême talisman."

Il s'agit plutôt de maintenir le dialogue avec tous, puisque nous avons en commun la raison. L'athée pourrait s'adresser ainsi au croyant : "Pourquoi me parles-tu de Dieu quand il y a cette radieuse jeune fille qui vient de traverser la rue, ou même ce beau soleil qui éclaire cette journée ? N'est-ce pas que tu fuis la réalité des choses et que, sous tes appels à l'amour, ton cœur est gorgé de ressentiment ?" L'agnostique, enfin, s'épargnerait de prouver la non-existence de Dieu, mais accuserait encore : "Ne peut-on pas être juste sans croire en Dieu, et injuste en y croyant ? (…) Inutile d'en parler."

Dès lors, ne serait-il pas plus simple, se demande Hadjadj de profiter de la beauté de la vie, rendre service à ceux qui en ont besoin, être solidaire des pauvres, ça au moins c’est concret, ça nous unit ! Mais, répond l’auteur, que devient toute cette justice sans la parole vraie ? A quoi sert-il de donner du pain sans réchauffer l’âme ? "Comme si la poésie et le savoir, la louange et la supplication, la conversation et la confidence, n'étaient pas les premières des nourritures pour l’homme en tant qu'homme"

Concilier foi et joie de vivre

Au fond, Hadjadj est torturé entre le désir de porter cette parole vraie et la crainte de blesser celui à qui il s'adresse, entre l'urgence de parler de ces vérités qui le dépassent, et la nécessité de rester impliqué dans la réalité du monde.

La question qui demeure serait celle-ci : "Comment parler de Dieu de telle sorte que cela n’implique pas mépris mais au contraire une tendresse à l'égard de ses moindres créatures ? (…) Parler de Dieu, semble-t-il, exclut de parler football ou de parler filles, et non seulement exclut mais condamne." La solution, pour lui, la voici : parler de Dieu est parler de la "source de toutes choses". Dans cette parole alors chaque être est "reçu dans une amplitude verticale, qui en recueille le cœur et l'élève dans la lumière".

Le fondamentaliste repousse la créature et l'athée le Créateur alors qu'il faudrait les accueillir ensemble : "(…) se tourner vraiment vers le Créateur, c'est se tourner vers les créatures de la façon la plus intime, et se tourner vraiment vers les créatures, c'est se tourner vers le Créateur qui de toute éternité les a choisies et placées sur notre chemin."

Sur le plateau de la chaîne KTO, Fabrice Hadjadj évoque plus largement sa conversion :


Aimez vos ennemis

Quelle posture face à celui qui se pose même en ennemi de Dieu ? "Parler de Dieu est indissociablement aimer celui à qui nous parlons, parce que c'est réverbérer la Parole qui lui donne l'existence, et qui donc désire infiniment qu’il existe" poursuit Hadjadj dans son ouvrage. Dans ces conditions, aucune violence n’est envisageable : "Quelle est la vraie force ? Celle qui domine jusqu’au cœur. Or, la violence peut mater le corps, elle ne saurait dominer le cœur."

L'annonce de Dieu peut susciter d’autant plus de rejet qu'elle touche au plus profond des personnes. Ici, aucune technique de communication ne semble décisive, sinon Jésus-Christ ne serait pas mort sur la Croix, affirme Fabrice Hadjadj. D'où cette question délicate : peut-on éviter le martyre  "en dessalant l’Evangile, en arrondissant les bords du crucifix, enfin en sachant communiquer mieux" ? Ce qui revient à se demander si la persécution n’est qu’un malentendu…

Pour l’auteur, c'est davantage une nécessité divine, quelque chose d’inévitable en ce monde… parce que les persécuteurs ont, au fond, très bien compris : "Ne pouvant vous clouer le bec, ils essaieront de vous clouer tout entier. Et c'est pourquoi, avec un peu de chance, ils vous mettront à mort. Le langage de la Croix aura atteint alors son maximum d’efficacité, puisque, malgré eux, vos bourreaux achèveront votre conformation à la Parole crucifiée… "

Clowns du Christ...

Au fond, pourquoi donc Dieu ne fait-il pas le travail lui-même, pourquoi laisse-t-il seules ses pauvres créatures maladroites ? Fabrice Hadjadj les compare à des clowns… car "le clown est d’abord un contemplatif."

Et puis il y a une telle disproportion entre Dieu et la créature ! "Est-ce que ça n’aurait pas été mieux s'il y avait eu une myriade d'anges visibles, autour de ton autel, à chaque fois que ton prêtre y célèbre la messe ? Au lieu de quoi, cette minuscule miette de pain, et nous-mêmes qui sommes aussi pâles, et petits, et cassables que ta blanche hostie ! Comment n'y aurait-il pas un décalage ? Comment notre miette pourrait-elle paraître divine auprès d'un double «cheeseburger» ?"

Prendre le temps de la conversation

Fabrice Hadjadj lors d'un événement de l'association "Conversations essentielles"
Fabrice Hadjadj lors d'un événement de l'association "Conversations essentielles"
Sur Facebook, au travail, en famille, nous voudrions être immédiatement "efficaces" quand nous communiquons… mais rêver d'efficacité immédiate est rêver de posséder des esclaves. Pour Fabrice Hadjadj, voilà "la plus insidieuse censure : tout ce qui ne peut être ramené à slogan publicitaire, tout ce qui n'est pas effusion pathétique, tout ce qui exige la durée d'une vraie conversation, devient absolument inaudible".

La parole humaine est belle parce qu’elle permet de "désigner les choses telles qu’elles sont", et de faire découvrir à l’homme sa vocation, et pour cela il faut du temps : "Parce que le mot «fleur» lui permet de saisir ce qu'est une fleur en général, l’homme peut devenir horticulteur ou fleuriste. Il peut cultiver la fleur pour elle-même, alors que le papillon la butine et la chèvre la broute pour soi."

La parole est aussi précieuse parce qu'elle assume à la fois la joie du quotidien et la conscience que nous sommes créatures de Dieu : "Il suffit que nous disions que les macaronis sont bons, que Monica [Belluci] est belle, que le moustique existe ou que le «Real» a gagné, déjà notre parole vogue vers le large, en appelle à ce qui est bon, beau et vrai, déjà elle nous parle de ce qui ne se réalise absolument qu'en Dieu, et dont Dieu est la cause."

Parler de Dieu après Auschwitz ?!

Reste pour le philosophe la question de Dieu face au mystère du mal… Comment croire après les drames de l'Histoire : le massacre d'Auschwitz et le Goulag, la bombe nucléaire sur Hiroshima… Pour lui, nous sommes revenus d'une certaine foi toute humaine, qui voyait "l'Histoire comme dialectique du progrès, où les hommes finiraient par se sauver par leurs propres forces." Aujourd’hui, l'horizon paraît sombre, quand une bombe peut détruire la planète, que les hommes sont prêts à des folies destructrices pour le pouvoir ou pour l’argent...

Ce qu'il faut craindre, conclut-il, c'est une dégradation de la parole, utilisée pour le mal. Or, "l'homme recueille un patrimoine et lègue une promesse" par la parole. Notre parole est précieuse, sachons-donc la cultiver, en faire un reflet de la réalité, cette réalité qui garde l'éclat du divin.


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