"Vivre sa religion aide à rencontrer l'autre"




Samuel Grzybowski a fondé Coexister, un mouvement pour la paix religieuse entre les jeunes. En 2013-2014, il a fait le tour du monde avec... un juif, un musulman, un athée, et un agnostique ! Objectif : découvrir les initiatives interreligieuses dont le monde regorge. Nous l'avons rencontré à la parution du livre qui raconte l'aventure : "Tous les chemins mènent à l'autre". Interview à bâtons rompus.





Samuel, vous avez 23 ans, et déjà voyagé dans 40 pays. En quoi consistait l"Interfaith Tour, et qu'en retenez-vous ?

Samuel Grzybowski : "J'ai rencontré 435 personnes ou groupes de personnes engagés au service de la rencontre interreligieuse. Ca fait beaucoup !

Mais de ce voyage, je garde surtout ce que j'ai compris de moi-même. A savoir que j'aime quitter la France pour mieux y revenir. C'est que le voyage au dehors nous entraîne dans une véritable épopée intérieure, dont on ne revient pas indemne des visages rencontrés. Moi,  il m'aura fallu dix mois de voyage, deux mois de témoignages, 50 frontières et 70 villes  pour redécouvrir cette phrase qui m'est chère : "là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur". C'est un peu ça l'Interfaith Tour, partir à la rencontre.

Après votre tour du monde interreligieux, pensez-vous que votre engagement pour la paix entre les religions soit mieux entendu ?

Je vais vous répondre assez franchement, non. Et c'est plutôt normal. L'association Coexister a pour but de mettre en relation des jeunes de confessions différentes.

Nous sommes une structure faite pour le terrain,  et donc ni l'association ni les jeunes qui vivent ensemble ne sont taillés pour être des communicants !  Alors je vous avoue qu'ils ne se sentent pas vraiment représentés, ni dans les médias, ni en politique.
Coexister organise des actions de dialogue, de solidarité et de sensibilisation dans les lieux où des jeunes très différents vivent ensemble : universités, quartiers, groupes locaux.
Coexister organise des actions de dialogue, de solidarité et de sensibilisation dans les lieux où des jeunes très différents vivent ensemble : universités, quartiers, groupes locaux.

A quoi cela est-il dû ?

Je crois que le fait que nous parlions de religion heurte beaucoup. Cela nous exclut d'un certain moule, celui qu'on appelle le "vivre ensemble". Car dans l'esprit des gens, la religion est quelque chose qui doit se confiner au privé. Or c'est là que l'on rencontre un problème. Pour nos jeunes, la religion n’est pas seulement quelque chose d'intime. Ils la vivent avec plus ou moins d'intensité, mais jamais de manière totalement privée.

Et puis il faut signaler cette petite statistique qui devrait secouer les esprits :  il n'y a en France que 15% d'athées convaincus. Cela permet de situer un peu le problème que nous connaissons, à savoir ce décalage entre les réalités sociales et spirituelles et leur représentation dans les médias et la sphère publique.

En France, nous pratiquons plutôt le dialogue interculturel. Est-ce qu’au fond cela ne rejoint-il pas le dialogue interreligieux ?

Ce n'est pas la même chose. Interculturel, cela signifie mettre en relation des individus de cultures différentes. Arabes, Noirs, blancs, latinos, asiatiques... On les rassemble autour d'une idée commune, la France par exemple, ou l'Europe.
 
"Nous posons cette question :
qu’est-ce qui peut, aujourd’hui, permettre la rencontre des personnes ?"
 
Alors que mettre en relation des gens qui ont des convictions intérieures différentes, cela s’appelle de l'interreligieux. Exemple, "Je crois que jésus est dieu, je crois que Mahomet est le prophète, je crois que Dieu a envoyé Abraham, etc.". Nous posons cette question, en réalité : qu'est-ce qui est capable, aujourd'hui, de permettre la rencontre des personnes ? Sur quoi allons nous faire du commun ? La religion est si présente dans le monde, que nous avons déjà notre petite idée…

Votre analyse a l’air juste, mais pensez-vous que ce message puisse passer publiquement ?

"Vivre sa religion aide à rencontrer l'autre"
Nous avons voyagé dans 47 pays différents. Je peux vous assurer que dans le reste du monde,  la religion est un fait de société. En France, c'est tabou. On peut le regretter assez amèrement, car nous prenons du retard.

J'entends parfois des acteurs politiques ou des journalistes se demander ce qu’on peut faire avec les jeunes musulmans… Mais nous avons déjà les réponses ! A Coexister, nous avons des musulmans qui vivent avec des cathos, des athées qui vivent avec des juifs, etc. Et au sein même des musulmans, nous avons encore plusieurs tendances : des frères musulmans, des salafistes, des libéraux, des réformés, nous avons aussi l'Islam des lumières. Enfin, nous vivons des choses sur le terrain qui résolvent un bon nombre de problèmes que se pose la classe politique.

Il y a des couacs, parfois ?

Oui, pour des histoires de cœur ! Jamais pour des questions religieuses ! C'est que nous avons une méthode qui permet une communion entre les personnes, voilà tout.

Une méthode ?

Je pourrais vous en parler pendant des heures, mais pour résumer les choses, disons que nous insistons sur un point, cela s'appelle la coexistence active. Qu'est-ce que c'est ?
"Si je ne sais pas ce que je suis, je suis incapable de recevoir"

En quelques mots, il s’agit pour un individu d'avoir une attention équivalente à sa propre identité et à son ouverture sur les autres.   Et le mot clef étant ici "équivalente". Cela signifie qu’il y a un équilibre à trouver entre ce que j’implique de moi-même, et ce que je prends de l'autre.  Si je ne sais pas ce que je suis, je suis incapable de recevoir. Et de même, si j'insiste trop sur mon identité, je suis incapable de m'ouvrir à l’autre.

Il y a une sagesse à avoir sur soi même en se posant ces questions : combien suis-je capable de m'ouvrir ? Combien suis-je capable de m'enraciner ?  Il faut aider chaque individu à se tenir entre deux dangers, et ce sont deux tentations courantes : la première, c'est vouloir à tout prix convertir l'autre, la seconde, c'est vouloir s'uniformiser ou se dissoudre en l'autre.

C’est ce que vous avez mis en pratique lors de votre voyage ?

"Vivre sa religion aide à rencontrer l'autre"
Oui, je n'ai jamais cherché à convertir mes amis. Ce n'est pas ce que je recherche en eux. Je ne me suis jamais dit, tiens, un tel est sympa, mais il serait bien plus heureux s'il était chrétien.

Bien sûr, moi qui suis chrétien, je serais très heureux s'il demandait le baptême, mais ce n’est pas ce qui fait le cœur de notre relation.

On accuse souvent les personnes un peu religieuses de radicalisme. Vous êtes un radical, vous ?

Totalement ! Je suis un radical et je prends cela comme un compliment ! Plus sérieusement, je crois que si tous les croyants du monde étaient réellement à l'écoute de leur religion, les choses se passeraient un peu mieux.  Parce que c'est quoi au juste,  un radical ? C’est un ermite dans le désert, qui mange peu, boit peu, et prie beaucoup. Pensez-vous qu'un homme comme ça soit dangereux pour quelqu'un ?  Pour moi, les moines de la Chartreuse sont des extrémistes, dans le bon sens du terme. Ils vivent leur foi entièrement, sans tromperie, sans déviance. Et  le père Christian, par exemple,  qui est mort décapité en Algérie, au nom de sa foi, c'est aussi un extrémiste du catholicisme. (Le père Christian est un moine de Tibhirine qu’on retrouve dans le film "Des Hommes et des dieux". Ndlr)  
 
"Si tous les croyants du monde étaient réellement à l'écoute de leur religion, les choses se passeraient un peu mieux. "


En clair, je suis toujours gêné quand on demande à un croyant d'être un mou.  Je prie deux fois par jour, je vais régulièrement à la messe, alors j’espère être un bon radical, c'est-à-dire un croyant entier enraciné dans sa foi. 

En préparant cet entretien, je me suis rendu compte que beaucoup de jeunes se moquaient éperdument de la paix religieuse. Finalement …

Le 11 janvier 2015, Coexister est avec des millions de Français dans la rue. Crédit photo : Coexister
Le 11 janvier 2015, Coexister est avec des millions de Français dans la rue. Crédit photo : Coexister
La question leur importe peu tant qu’ils ne sont pas menacés. Je termine votre question, parce qu'elle est trop courante. Je l'entends souvent de la part des jeunes.  C'est le troisième danger dont je voulais parler. Se dissoudre en l'autre, exacerber son identité, et le troisième, qui est se cantonner dans son indifférence.  Il est aussi dangereux que les deux autres. Peut-être que la seule solution pour que les jeunes prennent conscience de ce danger, c’est de leur faire savoir qu'ils sont complices. 
 
"Quand vous serez en guerre, ce dont vous vous souviendrez, ce ne sont pas les mots de vos ennemis, mais le silence des amis"  Martin Luther King


Vous savez, Gandhi a dit que la violence valait mieux que l’indifférence. Oui, c'est lui qui l'a dit. Il précise que la non violence est au-dessus de tout, mais que les premiers complices sont ceux qui ne font rien, en usurpant l'identité de faible pour se prémunir d'avoir à rendre des comptes.

Martin Luther King a dit quelque chose de semblable aussi. "Quand vous serez en guerre, ce dont vous vous souviendrez, ce ne sont pas les mots de vos ennemis, mais le silence des amis". Et Il rajoute que  la seule façon de sauver le monde, c'est  que les hommes de paix soient aussi organisés et  structurés que les hommes de guerre.  J’aime bien l'idée qu'à Coexister, on  se présente aussi comme une armée. Une armée qui désarme. 

Coexister a déjà opéré comme une armée au lendemain des attentats du mois de janvier 2015...

Oui, on a fait une opération coup de poing après les attentats contre Charlie Hebdo. Nous sommes allés taguer des cœurs sur les mosquées  et les synagogues. Ce n'est pas très courant, c'est un peu décalé, mais je peux vous dire que certains en avaient besoin à ce moment-là, tant le traumatisme était fort chez chacun.

On a opéré un peu comme un commando. Le matin, nous avions trois quatre jeunes dans une vingtaine de lieux de culte en France. Arrivés à la prière, les croyants ont découvert la chose, et beaucoup nous ont appelés pour nous remercier, certains pleuraient et nous ont dit qu'après ce petit geste, ils se sentaient en paix avec la situation".

Pour en savoir plus

Cliquer sur la couverture pour accéder à la librairie.
Cliquer sur la couverture pour accéder à la librairie.
- "Tous les chemins mènent à l'autre", Samuel Grzybowski, Editions L'Atelier.
Le carnet de route du tour du monde interreligieux de cinq membres de Coexister. Quand des personnes de religions, de cultures ou de convictions différentes parviennent à vivre et à construire ensemble, tous les chemins mènent à l’autre.


- InterFaith Tour est l'un des grands projets développés par le mouvement Coexister. D'autres jeunes de l'association devraient effectuer ce tour du monde dans une saison 2 à partir de l'été 2015. Un tour de France a aussi été réalisé dans le même esprit. www.interfaithtour.com

La page Facebook InterFaith Tour


- L'association Coexisterwww.coexister.fr


 


15 Avril 2015

Qu'en pensez-vous ?

1.Posté par Decois le 25/03/2015 20:30
Cela va complétement dans le sens du respect des croyances d'autrui. Les relations humaines ne peuvent s'édifier que sur une base solide. La tolérance en est une. Un autre chemin que pourrait croiser et découvrir ce jeune est celui de la Fondation du Chemin du Bonheur. Elle met à disposition sur son site des vidéos qui démontrent bien que l'avenir réside dans l'échange, l'honnêteté, la tolérance, la confiance, le respect de soi.

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