Frédérique Bedos, le bel itinéraire d'une enfant placée




Animatrice de télévision à succès dès la fin de ses études, Frédérique Bedos a longtemps fui son passé. Un jour pourtant, elle se souvient de la petite fille qu'elle a été. Entre une mère instable et une famille d'accueil exceptionnelle, elle raconte cet itinéraire et y trouve la clé d'un nouveau projet.




Frédérique Bedos enfant (à g.) sur la couverture de "La petite fille à la balançoire" et en 2013 (à dr. : photo de Marthe Lemelle)
Frédérique Bedos enfant (à g.) sur la couverture de "La petite fille à la balançoire" et en 2013 (à dr. : photo de Marthe Lemelle)
"J'avais à peine trois ans, je ne me souviens pas du tout du départ de Paris ni du voyage en train mais cette image-là ne m'a jamais quittée. Devant le portillon où un panneau disait « Ici, chien gentil », j'ai tout de suite eu envie d'entrer".

Ce portillon, Frédérique Bedos l'a souvent franchi au cours de sa petite enfance, faisant des allers-retours entre sa maman, Jeanne, et la famille d'accueil qui vivait là. Jusqu'à son adoption définitive à 11 ans par cette famille hors normes fondée par Michel et Marité.

Pourtant il lui faudra des années pour relire son passé et comprendre quel trésor tirer de cette enfance particulière.

Une petite fille émerveillée par la jolie maison avec une balançoire

Frédérique Bedos, le bel itinéraire d'une enfant placée
Frédérique Bedos naît au printemps 1971, d'une rencontre passionnée et brève entre sa maman qui arrive de Normandie à Paris et un jeune étudiant haïtien, Jacques.

Jeanne a tout juste 21 ans à la naissance de sa fille et est émerveillée devant ce tout petit bébé. Elle s'en occupe chaque jour avec beaucoup d'amour et de gaieté, tout en oubliant parfois de lui donner à manger. "Mes premiers souvenirs, c'est la joie", racontera Frédérique Bedos en 2013 dans son livre témoignage "La petite fille à la balançoire" (éditions des Arènes).

Son bébé sous le bras, Jeanne poursuit sa vie de bohème, sans travail ni logement fixes. Alors qu'elle vend des fleurs dans la rue, un prêtre remarque sa détresse et lui propose d'aller à Lille, dans une maison où elles pourront se reposer.

"C'était une jolie petite maison de ville, posée au milieu d'un jardin pourvu – merveille ! – d'un portique avec des balançoires, et remplie de jouets d'enfants".

Une famille nombreuse dans laquelle chacun est aimé envers et contre tout

Dans cette maison vit une famille hors du commun. Michel et Marité accueillent des enfants du monde entier, dont beaucoup considérés comme "inadoptables".

Ainsi Helen, Indienne dont les parents adoptifs ne veulent plus ; ou Gaston, devenu aveugle après être tombé dans le feu au Cameroun ; ou Cathy, sourde, arrivée à 4 ans en furie après avoir été battue et abandonnée. Il y a aussi Pierre-Vincent qui n'a ni bras, ni jambe. Sans oublier Ricoardo, Vietnamien, Virginie, Coréenne et jusqu'à 20 enfants qui se reconstruisent au sein de cette famille aimante.

"Je ne sais même pas très précisément qui des enfants de Michel et de Marité ont été adoptés ou seulement placés là, comme moi. Cela n'a aucune importance, dans le fond, se souvient Frédérique. Il y a un papa, une maman, et autour d'eux, grâce à eux, une famille dans laquelle chacun a une place, sa place, et est aimé envers et contre tout ce qui a pu le mener jusqu'ici". 

Sauvée par l'amour et par l'école

La petite Frédérique vient donc régulièrement profiter de la balançoire et de cette chaleur familiale. Car malgré l'amour que lui porte sa maman, celle-ci souffre psychiquement et sera souvent internée. Alors à chaque hospitalisation de sa mère, Frédérique retrouve la jolie petite maison où Michel et Marité lui offrent un équilibre, une sécurité et des frères et des sœurs de toutes les nationalités.

L'école est aussi sa survie. Frédérique est une bonne élève et aime apprendre. Elle est curieuse. Elle voudrait tant avoir une vie normale, comme les autres petites filles. Mais elle ne peut inviter aucune copine à venir jouer chez elle car personne ne doit voir sa maman malade, ni la pauvreté et la saleté de leur appartement.

Dans sa vie chaotique, et même après son adoption, l'école reste pour Frédérique un repère essentiel auquel elle s'accroche jusqu'à son bac.

Propulsée dans le monde fabuleux de la télévision

Son bac en poche, Frédérique quitte le Nord et sa famille pour suivre des cours d'histoire de l'Art à Paris. Elle est à peine en troisième année, quand elle rencontre le patron d'une chaîne de télévision américaine : il lui propose de venir animer des émissions à New York !

Elle est propulsée dans une vie excitante. Une vie à 200 à l'heure, au milieu des paillettes, des célébrités du show-bizz, des caméras... tout cela l'étourdit mais elle aime la lumière. Au bout de deux ans, elle rentre à Paris et commence à animer une émission de musique sur M6.  Puis elle quitte M6 pour MTV à Londres et poursuit sa course folle.

Elle ne veut plus alors penser à son enfance, à sa maman, à sa famille d'accueil. Elle coupe les ponts pendant plusieurs années. "A peine arrivée, déjà repartie comme si tous les témoins de mon passé ne pouvaient cohabiter avec ma folle liberté ; comme si j'avais peur que quelqu'un ou quelque chose m'arrête dans ma course. Je ne veux pas. Je n'ai pas le temps pour ça".

Après les sunlights, elle commence à rêver d'émissions différentes

Peu à peu Frédérique parvient à reconstituer le puzzle de sa vie© Creative Commons
Peu à peu Frédérique parvient à reconstituer le puzzle de sa vie© Creative Commons
Parallèlement à son retour sur M6 dans l'émission Concert Privé, et pour rendre service à un ami, elle vient animer le concert organisé à l'occasion de la première journée nationale de la diversité. Elle découvre des gens qui travaillent bénévolement et s'engagent pour rendre le monde meilleur. Cela leur donne une lumière qu'elle n'a pas vue depuis longtemps.

Une nouvelle fois, ils font appel à elle pour le lancement de l'Année européenne de l'égalité des chances pour tous. Frédérique "court" à Strasbourg pour animer le débat entre une dizaine de parlementaires européens et Ralph, l'organisateur de ces deux événements.

Au contact de ces gens différents, elle réfléchit à ce qui l'anime profondément. Elle se prend alors à rêver d'émissions différentes qui auraient d'autres buts que de faire de l'argent. Un projet germe peu à peu en elle. 

Rattrapée par son passé, elle sent qu'une nouvelle porte s'ouvre pour elle

Alors qu'elle poursuit ses activités sur M6 et W9, Frédérique sent son idée mûrir. "Je veux que la télé montre cet autre côté du monde, où les humains font preuve d'humanité, de créativité, d'amour - et alors, pourquoi pas ? - pour le transformer et le rendre meilleur".

Elle en parle à Ralph qui l'encourage. Il est temps pour elle de passer à autre chose et de renouer avec son histoire.

Le décès du fils de sa soeur la ramène alors à Roubaix. Frédérique s'y rend accompagnée de Ralph. Son passé la rattrape et il la pousse désormais à aller de l'avant. "J'ai demandé pardon pour ces années volées où je n'arrivais plus à être avec eux et c'est comme si une porte s'était ouverte, une grande porte grande ouverte sur un horizon immense et dégagé".

Le projet Imagine : pour inciter chacun à rendre le monde meilleur

Son nouveau projet est d'aller à la rencontre de tous les héros anonymes qui, non seulement font des choses extraordinaires mais en plus aident les autres. Comme Michel et Marité et beaucoup d'autres.

Frédérique veut faire leur portrait à travers de beaux documentaires, pour les mettre eux aussi dans la lumière : c'est le "Projet Imagine", qui veut promouvoir un journalisme d'espérance. Il s'agit d'inspirer le grand public à travers des exemples afin d'inciter chacun à agir pour un monde plus juste.

Une petite équipe travaille avec elle durant des mois et le 5 mars 2010, son premier film "Genèse" est mis en ligne sur le site du projet IMAGINE.
Le même jour, elle participe à la cérémonie des Victoires de la Musique pour la dernière fois. Frédérique tourne une page de sa vie, mais elle est sûre désormais de son cap.

Vidéo : Frédérique Bedos raconte son aventure de vie dans un TEDx


Une leçon de confiance qui pousse à inventer sa vie

Depuis, Frédérique Bedos continue dans ses films d'amener à la lumière des gens exceptionnels et souvent inconnus des médias. Le projet IMAGINE lui-même s'est déployé en créant, à côté des films, le mouvement IMAGINE pour inciter les citoyens, et même les élèves, à agir pour changer le monde.
En cela l'action de Frédérique Bedos nourrit notre confiance en l'homme.

Mais son itinéraire lui-même est source d'espérance. Non, les enfants placés ne sont pas condamnés au malheur. Oui, l'amour et le respect reçus dans une famille d'accueil peuvent réparer bien des blessures. Dans l'en-tête de son livre, Frédérique remercie d'ailleurs ses "deux mamans" : celle qui l'a allaitée et confiée, et celle qui l'a recueillie, nourrie et relevée.

Car chacun peut toujours, avec les fils emmêlés de son histoire, tisser une vie unique et magnifique. Comme Frédérique Bedos, qui a su mêler son expérience de petite fille placée à ses talents de réalisatrice. Ainsi, chacun peut "imaginer" sa vie.
 

2 Décembre 2020

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