David Le Breton : "La technologie ne remplacera jamais la sensorialité du corps"


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Comment renouer avec son corps quand la technologie en éloigne ? Sociologue et professeur à l’université de Strasbourg, David Le Breton observe à la fois un mépris et un culte du corps. Une déshumanisation, mais aussi des formes de résistance à travers les sports de nature. Extraits d'une passionnante interview publiée dans le magazine étudiant La Chouette.




L'usage permanent du smartphone change-t-il le rapport au corps ? © Vitalii / Adobe Stock
L'usage permanent du smartphone change-t-il le rapport au corps ? © Vitalii / Adobe Stock

Le corps rivé à la technologie (à cause du smartphone, surtout) est pour vous "la caractéristique la plus saillante" de l’évolution du rapport au corps. Que voulez-vous dire ?

David Le Breton : "Je pense que le smartphone est une manière de greffer, d’hybrider le corps sur la technique. On a aujourd’hui le sentiment que le corps est investi d’un organe supplémentaire : le portable.

Les ados comme les étudiants (mais aussi les plus âgés) sont tirés en avant par leur portable. Ils en seraient presque dangereux en ville, sur les pistes cyclables ou ailleurs. Pour moi, il y a donc bien un changement du rapport au corps parce qu’il y a un changement du rapport à l’autre".

Qu’entendez-vous par-là ?

David Le Breton : "On regarde par exemple beaucoup moins le haut et le visage de l’autre. On reste prosterné sur l’écran de son téléphone. J’utilise souvent le mot « prosterné » parce qu’il a une connotation religieuse qui me plaît bien et qu’il renvoie à une soumission à la technologie et, d’une certaine manière, à une démission de soi.

Pour moi, l’usage du portable renvoie à une forme de dégradation du visage de l’autre. C’est le cas lorsqu’on voit certaines personnes qui parlent entre elles sans regarder leur interlocuteur. Il n’y a alors pas de réelle conversation puisque celle-ci implique un rapport au corps de l’autre, sous une forme d’attention, de reconnaissance. Or, celles-ci passent fondamentalement par le visage, par le fait de regarder dans les yeux l’autre à qui vous parlez ou qui vous parle.

Je vois dans ce morcellement du lien social une forme de narcissisme de masse où chacun est d’abord centré sur lui-même ; le lien aux autres n’est plus qu’accessoire.

David Le Breton  © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
David Le Breton © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
Qui est David Le Breton ?

Né en 1953, David Le Breton enseigne la sociologie à l'université de Strasbourg. Chercheur au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe, il a beaucoup travaillé sur les représentations du corps et le sens de notre rapport au corps.

Dans ses premiers travaux, il creuse d'abord la signification des conduites à risque de l'adolescence. Puis en 2002, il publie Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles. Par la suite, il publie des essais sur la mode féminine, la voix, le rire ou encore la pratique de la marche à pied.

Dans l'essai L'adieu au corps publié en 2013 (édition Métailier), il interroge le projet de la techno-science de rectifier le "corps brouillon".

​Comment éviter cette soumission du corps à la technologie, cette dégradation du rapport aux autres, ce "narcissisme de masse" ? Comment finalement retrouver une société à visage humain ?

David Le Breton : "Je n’ai pas réfléchi à des solutions. J’ai plutôt analysé deux formes de résistances. La marche et le vélo.

Prenons l’exemple de la marche. Les marcheurs sont des hommes ou des femmes qui avancent le « corps nu » (sans technologies) à l’intérieur des forêts, dans les campagnes ou les montagnes… Je vois donc dans la marche à pied comme une résistance aux impératifs de vitesse, de rendement, d’efficacité, qui sont au cœur de nos sociétés contemporaines.

  "Marcher, c’est reprendre à nouveau corps dans son existence, c’est retrouver le plein vent du monde."


Marcher, c’est donc reprendre à nouveau corps dans son existence, c’est retrouver le plein vent du monde, retrouver la sensorialité du monde, retrouver la contemplation, les odeurs de la nature. C’est même retrouver le goût et le sens du toucher puisque les marcheurs peuvent toucher les pierres, les arbres, se baigner dans un lac, une rivière, goûter des fruits sauvages…

Les cyclistes sont un peu dans la même logique puisqu’ils découvrent l’environnement par leur corps et non plus derrière un écran ou derrière le volant d’une voiture."
La marche comme moyen de résistance. © Pexels / Pixabay
La marche comme moyen de résistance. © Pexels / Pixabay

​On a l’impression qu’aujourd’hui, le corps apparaît comme un lieu d’expression et de défi. Est-ce le signe que l’individualisme a définitivement gagné la bataille sociétale et l’a emporté sur le corps social ?

David Le Breton : "C’est vrai que le lien social se défait. Il ne reste donc que le corps auquel on peut croire et se rattacher. Cette situation anthropologique du corps hérite en fait d’une longue évolution au cours des siècles, notamment depuis la fin du Moyen-Âge avec les premiers anatomistes qui vont découper les corps.

Mais pour moi, c’est dans ces années 1990 qu’on voit soudain le corps émerger de façon spectaculaire comme un accessoire, avec notamment l’apparition du tatouage, du piercing, la banalisation de la cosmétique, de la chirurgie esthétique, du culturisme, du souci de soi…"

​N’assiste-t-on pas aujourd’hui, non pas à la gloire du corps mais à sa négation ou à son rejet inconscient ?

David Le Breton : "Il y a bien une ambivalence aujourd’hui, je suis d’accord. Il y a à la fois un mélange de célébration du corps et de mépris du corps. Certains exigent de celui-ci d’innombrables transformations que ce soit en termes de régime alimentaire, d’apparence, de décoration de soi, parfois aussi de mise en scène de soi.

Nous vivons désormais dans un monde de signes beaucoup plus que dans un monde régi par la concrétude des relations avec les autres." ...

Lire la suite de cet entretien dans le magazine étudiant La Chouette

Vous pouvez lire l'intégralité de cet entretien dans le magazine étudiant en ligne "La Chouette" :

"Corps icône ou corps minable : quelle place redonner au corps ? " Un numéro entièrement consacré à la réflexion sur le corps avec des témoignages sur l'exposition des corps sur les réseaux sociaux, mais aussi une approche historique et philosophique.

La gazette La Chouette, partenaire de reussirmavie.net, consacre chaque numéro à un sujet fondamental pour les étudiants : le travail manuel, le sens de la vie, le logement étudiant, les méthodes de travail, l'engagement...

 


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