René P. : il se souvient de 1940



Etudiant parisien, René a 19 ans lorsqu'éclate la guerre. Il décide de s'engager et vit le désarroi de la "drôle de guerre", avant d'assister à la débâcle de l'armée française.




14 juin 1940 : les troupes allemandes occupent Paris © Wikimedia Commons / Bundesarchiv Bild 183-L05487
14 juin 1940 : les troupes allemandes occupent Paris © Wikimedia Commons / Bundesarchiv Bild 183-L05487
"En 1939, j'étais diplômé de Sup de co Paris, et je pensais rentrer à Science Po, raconte René. Il faut dire qu'à l'époque, les études étaient moins compliquées qu'aujourd'hui et qu'un simple examen suffisait ! Mais comme la guerre contre l'Allemagne a été déclarée en septembre 39, je me suis dit  que j'allais m'engager dans l'armée.

Mon père n'était pas pour, et il pouvait me l'interdire car on n'était majeur alors qu'à 21 ans. Il avait été blessé en 14 et savait qu'une guerre peut être longue. Il trouvait que je m'engageais trop tôt. Pourtant, il m'a laissé faire, peut-être parce que j'étais le seul garçon de la famille (j'avais deux soeurs)...

Dans l'armée, nous n'avions quasiment aucun équipement !

J'avais fait ma préparation militaire supérieure dans l'infanterie par l'intermédiaire de Sup de co, mais j'ai choisi la cavalerie. On m'a affecté avec d'autres engagés volontaires à Rambouillet. Il y avait une flopée d'officiers à particule, très fiers d'être dans la cavalerie. Mais j'ai vite découvert que nous n'avions quasiment aucun équipement : j'avais un vieil uniforme bleu horizon tout usé qui venait d'une unité dissoute ! Nous avions des auto-mitrailleuses de 1916, et de vieux chars de 1918. Nous avions tout de même le "fusil moderne" de 1936, mais, petit détail, la culasse tombait ! Pourtant nous étions encore pleins d'espoir, sûrs que ça s'arrangerait.

Avec cela, nous avons eu un hiver 39-40 extrêmement froid, avec des températures qui sont descendues à -22°, et au cours d'un exercice, je suis tombé dans un ruisseau glacé ce qui m'a valu trois jours d'hôpital.

En mars 40, nous ne nous étions toujours pas battus

En janvier 1940, notre moral a baissé d'un coup lorsque nous avons vu partir une unité dite "moderne" pour le front : les seuls véhicules dont elle disposait étaient des voitures ou des camions réquisitionnés chez les civils ! Mais là encore, on se disait que cela s'arrangerait.

En mars 40, alors que je m'étais engagé en novembre 39, nous ne nous étions toujours pas battus. Cette guerre nous paraissait bien bizarre à nous, jeunes volontaires. En fait, Hitler complétait l'armement de ses troupes. C'était ce qu'on a appelé la "drôle de guerre" : il n'y avait pas de combats, à part à la  frontière du Luxembourg où quelques unités d'élite françaises se sont tout de même illustrées et ont fait des prisonniers.

J'ai fait un vol sur un avion de 1924

Dégoûté de ce que j'avais vu dans la cavalerie, j'ai décidé de passer dans l'armée de l'Air. Je n'ai pas été accepté comme pilote, mais comme navigateur et bombardier. Mais nous n'avions pas d'avions ! Nous étions une centaine, dans un succédané d'Ecole de l'Air, à Versailles. Notre instructeur, un polytechnicien, nous disait  : "Vous apprendrez plus tard, quand on aura des avions". On faisait donc de l'instruction théorique, avec des fusils de 1886 qui avaient un tel recul qu'on tombait quand on tirait !

Et puis, en avril, la guerre s'est vraiment déclenchée quand l'Allemagne a attaqué la Norvège. En mai, nous avons donc été affectés à l'aérodrome d'Evreux, mais le temps que nous partions, les Allemands étaient déjà rentrés en Belgique. Et nous n'avions toujours pas volé !!
On nous a alors envoyé près de Bordeaux, à l'aéroport de Mérignac qui était une base militaire. Et là, nous avons eu quelques vols d'entraînement, un seul pour moi, sur des appareils de 1924, avec des pilotes polonais et tchèques réfugiés. Les aviateurs français, eux, étaient partis à la casse, et ont fait ce qu'ils pouvaient, il ne faut pas les oublier : ils ont abattu plus de 1000 avions allemands et il y a tout de même eu 110 000 morts en six semaines.

A Bordeaux, tout manquait, tout était désorganisé

Mais l'armée française n'était pas prête du tout ! En arrivant à Bordeaux, les seuls avions modernes que j'ai vus sur l'aéroport avaient malheureusement été sabotés par des communistes qui, à l'époque, soutenaient encore l'Allemagne (à cause du pacte de non agression germano-soviétique). L'armée allemande, elle, était motorisée alors que nous avions encore de l'artillerie à cheval !

En quelques jours, ça a donc été la catastrophe. A Bordeaux, tout manquait, tout était désorganisé. On n'avait rien à manger. Le gouvernement s'est réfugié là et a envahi tous les hôtels, les gens dormaient dans les voitures, les trains, c'était insensé. Et puis, à la radio, il  y a eu l'annonce de l'armistice. Nous étions foudroyés, anéantis. On pensait que c'était grave, mais pas à ce point !

L'aéroport de Mérignac ayant été bombardé, le commandement nous avait envoyés dans les Landes et l'on nous a occupés à faire un peu de contrôle sur les routes pour éviter que les Allemands n'avancent davantage. Mais je n'ai jamais vu le combat !
Le 14 août 40, je suis rentré à Paris, dégoûté par l'armée, et profondément découragé. Les rues étaient désertes, il n'y avait pas une voiture. Notre moral était au plus bas, on se voyait fichus. Et quand on a entendu parler de l'appel de de Gaulle, on s'est dit qu'il n'avait aucune chance !"

(René a repris en octobre 40 ses études à Sciences Po, bien qu'un grand nombre de professeurs aient été faits prisonniers.)

Retour aux autres témoignages : J'avais 20 ans en 1940

20 Mai 2019
Témoignage recueilli par Michèle Longour

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