Il a eu la rage de survivre : le récit d'un migrant camerounais




Victor Eock est camerounais. A 21 ans, il a quitté son pays et traversé l'Afrique pour rejoindre l'Europe. Un périple de 22 mois qu'il raconte dans un récit poignant recueilli par le journaliste Nicolas Balu : "La rage de survivre".




Il a eu la rage de survivre : le récit d'un migrant camerounais
C'est un récit fait sans aucune haine, sans critique, juste comme cela a été vécu : Victor n'a rien contre personne… il voulait juste parvenir en Europe, là où il pensait qu’il pourrait gagner sa vie pour aider puis retrouver sa famille. 

Né en 1991 au centre du Cameroun dans une famille pauvre de 13 enfants, Victor Eock a 21 ans lorsqu'il prend le bus pour quitter Yaoundé en 2012. Il part seul, et dans le plus grand secret.

En lui, les questions se bousculent : "Comment va se passer le voyage ? Est-ce que je vais mourir ? Comment vont réagir les miens en réalisant que je suis parti ? Est-ce qu'ils ont déjà compris ? Non, personne ne sait rien. Personne à part Dieu."



Le témoignage de Victor Eock a été recueilli par Nicolas Balu et publié aux éditions de l'aube en 2016 sous le titre "La rage de Survivre"

Racketté, enfermé, soumis au bon vouloir des passeurs

Arrivé au Nigéria, Victor se fait rapidement racketté par les douaniers et les policiers. Il se retrouve au Mali sans un sou et en pleine offensive djihadiste. Il travaille pour survivre et doit se convertir à l'islam tout en gardant secrètement sa foi catholique. Puis à l'automne 2013, il repart vers le Nord, vers Gao, "et mon vrai voyage en enfer commence", raconte-t-il.

Le voilà aux mains des passeurs. A Gao, des jours durant, il reste enfermé dans une pièce infecte de 16m2 avec trente autres migrants. "Nous sommes en réalité des chiens mendiants. Lorsque l'unique repas de la journée arrive, on nous apporte un grand plat : il faut se précipiter dessus si on veut en avoir."

Puis c'est enfin le départ : avec 46 compagnons de route, on les entasse dans un camion pour la traversée du Sahara jusqu'à Tamanrasset en Algérie. Trois jours dans le noir, la poussière, la fournaise et la peur des "terroristes" islamistes. 

"Numéro 26. Je ne suis plus que cela. J'ai le temps d'y repenser dans ce camion. Je ne suis plus rien, déshumanisé en apparence. Cela peut paraître étonnant, mais c'est à ce moment-là, ce moment où l'on me donne un numéro, que je prend vraiment conscience quej'ai quitté mon pays, que j'ai tout laissé derrière moi. Peut-être mon identité". 

(Extrait de La Rage de survivre)

Battu et laissé pour mort dans un trou entre Algérie et Maroc

En Algérie, à nouveau, il doit travailler pour gagner de quoi poursuivre son périple. Il est plongeur, fait du nettoyage, et peut reprendre la route du Maroc.

Hélas, à la frontière, la police marocaine le repère. Il est battu et jeté dans un trou en plein désert. Victor est à bout : "Je suis immobile. Je suis à plat ventre. Je vais mourir cette nuit, demain peut-être. Je suis épuisé. Je suis seul". Pourtant, Victor trouve la force d'en sortir : "Je ne veux pas mourir. Je veux voir l'Europe". Cette force, il la puise en sa foi et prie : "Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. Fais un miracle. Fais que je sorte de ce trou".

Et le miracle prend la forme d'un arbuste qui lui permet de s'agripper et se traîner hors du ravin.

Rescapé des coups de matraque et des barbelés de Melilla

L'étape ultime avant l'Europe, c'est Melilla, une enclave espagnole sur le sol marocain. Entassés sur le mont Gourougou qui surplombe Melilla, des milliers de migrants africains se cachent, attendant le signal des passeurs.

Ils doivent franchir une triple rangée de hauts grillages et de barbelés et pour cela, ils s'élancent tous ensemble par centaines pour déborder les policiers. "Le 28 mai 2014, raconte Victor, c'est au tour des Camerounais de tenter une frappe. Nous sommes mille deux cents et nous allons prendre d'assaut les barrages de la frontière". 

Devant lui, deux migrants sont écrasés par une voiture de police, des dizaines tombent sous les matraques des gardes-frontières et sont déchiquetés par les barbelés. Victor franchit le premier grillage, puis le deuxième. Il tombe et reste hébété. Mais rassemblant ses dernières forces, il s'accroche, escalade le dernier obstacle et atterrit "du bon côté". Il est en sol européen, enfin.

"Une fois au pied de l'obstacle je vérifie que je peux accrocher les cinq doigts de la main dans les trous du grillage. Tout le monde se déchausse. Je me déchausse. Je tends mes mains vers le ciel et m'agrippe. Je grimpe. Je ne regarde pas vers l'Europe, je regarde vers le haut. Je ne vois pas la lune. Je ne vois pas les lumières. Je vois le fil de fer que j'attrape, que je mange centimètre par centimètre derrière les pieds d'un être humain en fuite, à côté d'un autre qui joue sa vie et au-dessus des gardes-frontières qui essaient de nous taper dessus".
Extrait de "Victor Eock, La rage de survivre" (éd. de l'aube)

Sans-papiers en Espagne puis en France

Victor arrive en Espagne mais c'est la désillusion. Pas moyen de trouver le moindre travail.

Il met le cap sur la France, arrive à Marseille. Même désillusion. "J'allais vite comprendre ce que j'avais déjà pressenti en Espagne : la France, l'Europe, ne sont pas l'eldorado que je croyais, que mes compatriotes arrivés sur le continent me vendaient, dans les médias ou sur Internet. Non seulement ils ne m'avaient pas parlé de tous les dangers du voyage mais en plus, ils m'avaient caché le sort réservé aux migrants. Sans papiers, je ne peux rien."

Sans-papier, Victor vit dans l'angoisse des contrôles. loin des siens, il est comme "transparent" : il est qui… et pour qui ?

Témoin du calvaire des migrants grâce à Nicolas Balu

C’est alors qu’il fait connaissance avec Rémi lors d’un accueil des ‘gens de la rue’. Rémi est touché par cet homme, la puissance de son message, son énergie vitale et… sa foi.

Il téléphone alors à son frère journaliste, Nicolas Balu, qui sera très heureux de découvrir Victor et de l'aider à exprimer dans un livre ce qu'il a envie de nous dire : si vous allez vers un Eldorado, un rêve, assurez-vous avant que ce rêve a une réalité !

Vidéo : Victor Eock et Nicolas Balu présentent "La Rage de survivre : récit d'un migrant"


Pour l'amour de sa famille

Et aujourd'hui ? Victor a compris que l'Europe n'est plus un Eldorado… mais maintenant qu'il y est, et que la Providence a voulu qu'il puisse co-écrire ce livre… nous lui souhaitons de pouvoir vivre en France un peu de temps et de réaliser son objectif : aider sa famille.

Car Victor est papa d'un petit garçon. Cela aussi est sa force : l'amour de sa famille. Quoi de plus naturel ? C'est ce qui lui a donné "la rage de survivre". Bravo Victor, merci Nicolas !

14 Mai 2019
Claire Collier

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