Manifestations étudiantes au Quartier Latin à Paris début mai 68 et slogans. © Wikipédia
Avec le temps, les passions s'apaisent. Décade après décade, les débats qui opposaient les "soixante-huitards" à leurs adversaires ont perdu de leur fougue. En 2008, le président Nicolas Sarkozy voulait encore "liquider" l'héritage de 68. En 2018, Emmanuel Macron, né neuf ans après 68, a évoqué l'idée de commémorer ce moment d'histoire française par un débat sur l'utopie.
Il ne s'agit donc pas ici de choisir un parti, de rendre hommage ou de tirer sur les lanceurs de pavés. Mais simplement, de réfléchir.
Réussir ma Vie veut essayer d'aider les jeunes à tracer leur chemin et à trouver un sens à leur vie. Alors pourquoi ne pas saisir l'occasion de cet anniversaire pour se pencher sur les grandes aspirations des jeunes de l'époque ?
La mise en cause de la société de consommation, le rejet de l'autorité, la soif de bonheur, de libération sexuelle, le désir de donner un sens à sa vie... Ajoutez à cela une bonne dose d'utopie et un grand élan d'engagement politique. Il faut bien reconnaître qu'en 2018, certaines de ces valeurs continuent de résonner, même si le monde a bien changé.
Il ne s'agit donc pas ici de choisir un parti, de rendre hommage ou de tirer sur les lanceurs de pavés. Mais simplement, de réfléchir.
Réussir ma Vie veut essayer d'aider les jeunes à tracer leur chemin et à trouver un sens à leur vie. Alors pourquoi ne pas saisir l'occasion de cet anniversaire pour se pencher sur les grandes aspirations des jeunes de l'époque ?
La mise en cause de la société de consommation, le rejet de l'autorité, la soif de bonheur, de libération sexuelle, le désir de donner un sens à sa vie... Ajoutez à cela une bonne dose d'utopie et un grand élan d'engagement politique. Il faut bien reconnaître qu'en 2018, certaines de ces valeurs continuent de résonner, même si le monde a bien changé.
En 68 : la critique de la société de consommation
Herbert Marcuse
En 68, la France et l'Europe de l'Ouest vivent un temps de fort développement économique. C'est le coeur des Trente Glorieuses. On croit au progrès, au modernisme. La France s'urbanise, ouvre ses premières grandes surfaces, bâtit ses grands ensembles, lance ses grands projets. La "grandeur" voulue par le général de Gaulle passe par là... L'économie connaît un taux de croissance plus de 5%. De plus en plus de jeunes accèdent à l'université.
Tout baigne ? Oui mais, un philosophe américain d'origine allemande, Herbert Marcuse, qui se consacre à l'étude de la civilisation moderne, dénonce cette "société de consommation" qu'il accuse de produire pour produire. Produire pour quoi ? La consommation est-elle le seul horizon à atteindre dans la vie ? Les slogans des manifestants de Mai 68 traduisent ce malaise : "Non à la dictature de l'économie", "On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance de 5%"...
Tout baigne ? Oui mais, un philosophe américain d'origine allemande, Herbert Marcuse, qui se consacre à l'étude de la civilisation moderne, dénonce cette "société de consommation" qu'il accuse de produire pour produire. Produire pour quoi ? La consommation est-elle le seul horizon à atteindre dans la vie ? Les slogans des manifestants de Mai 68 traduisent ce malaise : "Non à la dictature de l'économie", "On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance de 5%"...
Développement durable : après l'utopie, le pragmatisme
Cinquante ans plus tard, la consommation règne certes en maître, mais de nouveaux modes de production et de partage sont aussi apparus à l'orée du 21ème siècle. La recherche d'un développement économique purement quantitatif est plus que jamais remis en question :
- L'ultra-libéralisme qui tend à orienter tout le système économique vers la recherche du profit est contesté par de nombreux partis et courants politiques. Et pas seulement des révolutionnaires d'extrême-gauche ! Nombreux sont ceux qui réclament que l'homme ne soit pas écrasé mais mis au centre du système économique. De nouveaux entrepreneurs parviennent même à créer des activités économiques en mettant l'homme au centre : l'économie sociale et solidaire et l'entrepreneuriat social ont le vent en poupe et l'on croit aux "entrepreneurs qui changent le monde" pour reprendre le titre du livre de deux changemakers célèbres.
- La consommation sans limites des ressources de la planète pose aussi question. D'autant plus que certaines s'épuisent, et que cette consommation (d'énergie par exemple), ne va pas sans détruire ou abîmer l'environnement. Le réchauffement climatique, les inégalités entre pays riches et pauvres, tout cela fait avancer la recherche d'un développement durable. Institutions internationales, Etats, associations, individus, tout le monde s'y met... jusqu'à changer ses propres modes de consommation, sa façon de se déplacer, de se chauffer, de se nourrir.
De ce point de vue, le monde de 2018 va plus loin que celui de 68. La critique de la société de consommation n'est plus réservée à la jeunesse contestataire mais trouve sa place dans les grands débats de société. Et commence à orienter les choix. Confrontés à la réalité, les responsables politiques sont forcés à s'engager dans la transition énergétique. Les citoyens, les associations, les entreprises n'attendent d'ailleurs pas tout de l'Etat mais mettent des solutions en place.
On n'est plus dans l'utopie, mais dans le pragmatisme !
- L'ultra-libéralisme qui tend à orienter tout le système économique vers la recherche du profit est contesté par de nombreux partis et courants politiques. Et pas seulement des révolutionnaires d'extrême-gauche ! Nombreux sont ceux qui réclament que l'homme ne soit pas écrasé mais mis au centre du système économique. De nouveaux entrepreneurs parviennent même à créer des activités économiques en mettant l'homme au centre : l'économie sociale et solidaire et l'entrepreneuriat social ont le vent en poupe et l'on croit aux "entrepreneurs qui changent le monde" pour reprendre le titre du livre de deux changemakers célèbres.
- La consommation sans limites des ressources de la planète pose aussi question. D'autant plus que certaines s'épuisent, et que cette consommation (d'énergie par exemple), ne va pas sans détruire ou abîmer l'environnement. Le réchauffement climatique, les inégalités entre pays riches et pauvres, tout cela fait avancer la recherche d'un développement durable. Institutions internationales, Etats, associations, individus, tout le monde s'y met... jusqu'à changer ses propres modes de consommation, sa façon de se déplacer, de se chauffer, de se nourrir.
De ce point de vue, le monde de 2018 va plus loin que celui de 68. La critique de la société de consommation n'est plus réservée à la jeunesse contestataire mais trouve sa place dans les grands débats de société. Et commence à orienter les choix. Confrontés à la réalité, les responsables politiques sont forcés à s'engager dans la transition énergétique. Les citoyens, les associations, les entreprises n'attendent d'ailleurs pas tout de l'Etat mais mettent des solutions en place.
On n'est plus dans l'utopie, mais dans le pragmatisme !
En 68 : la lutte contre l'autorité
En 1968, on ne rigole pas dans les familles avec l'autorité des parents. "Tu feras ce que je t'ai dit", un point c'est tout. Idem dans les lycées, les facs, et toutes les grandes institutions. Les jeunes ne sont majeurs qu'à 21 ans, ont peu de liberté d'expression et n'ont bien sûr pas le droit de vote.
Pour les étudiants de l'époque, celui qui incarne le plus cet autoritarisme, c'est le "père de la Nation", le fondateur de la Ve République : le général de Gaulle que slogans et affiches veulent déboulonner : "Dix ans, ça suffit !"... Dans le souffle des événements, les jeunes prennent la parole. Ils bousculent les enseignants, veulent s'affranchir de la culture classique jugée trop "bourgeoise", renverser les institutions...
Des courants libertaires et anarchistes s'y mêlent : "Il est interdit d'interdire", "Ni dieu ni maître". Ainsi que la revendication d'une libération sexuelle, d'un droit au plaisir considéré alors comme subversif dans une société encore très rigide. Dans les années post-68, cette critique tenace de l'autorité va s'infiltrer partout.
Pour les étudiants de l'époque, celui qui incarne le plus cet autoritarisme, c'est le "père de la Nation", le fondateur de la Ve République : le général de Gaulle que slogans et affiches veulent déboulonner : "Dix ans, ça suffit !"... Dans le souffle des événements, les jeunes prennent la parole. Ils bousculent les enseignants, veulent s'affranchir de la culture classique jugée trop "bourgeoise", renverser les institutions...
Des courants libertaires et anarchistes s'y mêlent : "Il est interdit d'interdire", "Ni dieu ni maître". Ainsi que la revendication d'une libération sexuelle, d'un droit au plaisir considéré alors comme subversif dans une société encore très rigide. Dans les années post-68, cette critique tenace de l'autorité va s'infiltrer partout.
En 2018 : la recherche de témoins
Aujourd'hui, plus besoin de contester l'autorité. L'évolution sociétale a été si loin, que le principe même de la transmission des valeurs et du savoir a été mis à mal. Résultat : à l'école, dans les familles, les institutions, tous ceux qui doivent exercer l'autorité ont bien du mal à s'en sortir. Les enfants de soixante-huitards eux-même ont écrit des livres pour critiquer l'éducation libertaire qu'ils ont reçue. On pleure presque après l'autorité perdue !
Pourtant, on aurait bien du mal à revenir cinquante ans en arrière, à une société rigide sans dialogue ni droit d'expression ! Ce qu'on cherche aujourd'hui, ce ne sont pas des règles qui tombent d'en haut, mais des repères pour pouvoir faire des choix et construire sa liberté.
D'autant plus que la société est devenue multi-culturelle. On ne veut plus de maîtres mais des témoins, des adultes qui par la cohérence de leur vie et de leurs choix montrent des voies ou indiquent un sens. De même sur le plan de l'intimité : si la libération sexuelle est désormais acquise, il revient maintenant à chacun de donner un sens à sa sexualité et de construire son parcours amoureux.
Pas si simple. Il y a cinquante ans, on pensait qu'il suffisait d'abattre les interdits pour trouver le bonheur. Or maintenant, les murs sont par terre, mais l'amour n'est pas forcément derrière comme l'observe par exemple la sexologue Thérèse Hargot dans les établissements scolaires.
Pourtant, on aurait bien du mal à revenir cinquante ans en arrière, à une société rigide sans dialogue ni droit d'expression ! Ce qu'on cherche aujourd'hui, ce ne sont pas des règles qui tombent d'en haut, mais des repères pour pouvoir faire des choix et construire sa liberté.
D'autant plus que la société est devenue multi-culturelle. On ne veut plus de maîtres mais des témoins, des adultes qui par la cohérence de leur vie et de leurs choix montrent des voies ou indiquent un sens. De même sur le plan de l'intimité : si la libération sexuelle est désormais acquise, il revient maintenant à chacun de donner un sens à sa sexualité et de construire son parcours amoureux.
Pas si simple. Il y a cinquante ans, on pensait qu'il suffisait d'abattre les interdits pour trouver le bonheur. Or maintenant, les murs sont par terre, mais l'amour n'est pas forcément derrière comme l'observe par exemple la sexologue Thérèse Hargot dans les établissements scolaires.
En 68 : la révolution improbable...
Que demandaient les jeunes manifestants de Mai 68 ? Des centaines d'historiens, de philosophes, se sont posés la question dans des dizaines de livres. Au départ, il y a seulement une provocation, l'occupation de la Sorbonne par la police, qui les jette dans la rue. Leurs revendications sont précises : "Libérez nos camarades" (ceux qui ont été arrêtés par la police) et "la Sorbonne aux étudiants" ! Pas de quoi faire une révolution.
Il est vrai que quelques dizaines d'entre eux militent dans des mouvements d'extrême-gauche à tendance révolutionnaire. Ils empruntent le vieux langage marxiste-léniniste de la lutte des classes et n'hésitent pas à comparer les CRS à des SS. Mais même si les affrontements sont extrêmement violents, à aucun moment ils ne pensent à aller jusqu'au bout, par exemple en investissant l'Assemblée ou l'Elysée, pour renverser le régime et prendre le pouvoir. Les uns n'y sont pas prêts, les autres pensent que la révolution doit venir des ouvriers.
Il est vrai que quelques dizaines d'entre eux militent dans des mouvements d'extrême-gauche à tendance révolutionnaire. Ils empruntent le vieux langage marxiste-léniniste de la lutte des classes et n'hésitent pas à comparer les CRS à des SS. Mais même si les affrontements sont extrêmement violents, à aucun moment ils ne pensent à aller jusqu'au bout, par exemple en investissant l'Assemblée ou l'Elysée, pour renverser le régime et prendre le pouvoir. Les uns n'y sont pas prêts, les autres pensent que la révolution doit venir des ouvriers.
... et un supplément d'âme
Alors, dans les revendications s'engouffrent des tas d'autres aspirations : on veut "changer la vie", vivre un temps de fête et de fraternité.
Voilà ce qu'a écrit Patrick Rotman, historien spécialiste de la période dans son livre "Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu" :
"On touche là à la vérité profonde de ce mouvement, informulée, impalpable et en partie irrationnelle : la quête de ce qu'il faut bien appeler une forme de "transcendance". Au fond, un profond besoin de croire en une autre humanité, une autre société, un autre monde s'investit en 68.
Cette forme de "foi" a donné à cette nébuleuse une dimension supplémentaire, un supplément d'âme, qui dépasse de loin la simple articulation d'événements politiques et sociaux. Il se passe autre chose dans les têtes, dans les coeurs, qui ne relève plus de la satisfaction matérielle, mais du domaine spirituel."
Voilà ce qu'a écrit Patrick Rotman, historien spécialiste de la période dans son livre "Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu" :
"On touche là à la vérité profonde de ce mouvement, informulée, impalpable et en partie irrationnelle : la quête de ce qu'il faut bien appeler une forme de "transcendance". Au fond, un profond besoin de croire en une autre humanité, une autre société, un autre monde s'investit en 68.
Cette forme de "foi" a donné à cette nébuleuse une dimension supplémentaire, un supplément d'âme, qui dépasse de loin la simple articulation d'événements politiques et sociaux. Il se passe autre chose dans les têtes, dans les coeurs, qui ne relève plus de la satisfaction matérielle, mais du domaine spirituel."
Des lendemains qui déchantent
Dans sa formulation politique qui emprunte au jargon gauchiste, les revendications des soixante-huitards sont bien mortes. La faillite totale des idéologies auxquelles beaucoup croyaient a d'ailleurs marqué la fin d'une époque et pour certains, un dur retour au réel.
"Pour nombre de militants de cette génération, poursuit Patrick Rotman, les lendemains se révélèrent très sombres, parfois dramatiques : des milliers de lycéens avaient arrêté leurs études pour ne jamais les reprendre et se sont condamnés à rester déclassés à jamais. La gueule de bois provoquée par la désillusion et la perte de foi a conduit à des fuites en avant dans la drogue, l'alcool, voire le suicide. On a souffert d'une "casse humaine" très importante, un gâchis pour ceux qui n'ont pas supporté le retour au réel".
"Pour nombre de militants de cette génération, poursuit Patrick Rotman, les lendemains se révélèrent très sombres, parfois dramatiques : des milliers de lycéens avaient arrêté leurs études pour ne jamais les reprendre et se sont condamnés à rester déclassés à jamais. La gueule de bois provoquée par la désillusion et la perte de foi a conduit à des fuites en avant dans la drogue, l'alcool, voire le suicide. On a souffert d'une "casse humaine" très importante, un gâchis pour ceux qui n'ont pas supporté le retour au réel".
En 2018 :changer la vie ou habiter sa vie ?
Aujourd'hui, l'utopie collective n'est plus vraiment d'actualité, même si de temps à autre on voit jeunes et adultes descendre dans la rue, comme au printemps 2016 le mouvement "Nuit Debout". Serions-nous devenus individualistes ? Il paraît. Pourtant, le désir de révolte, de justice est toujours là. Plus concret, plus proche du réel peut-être.
Trente ans de chômage sont passés par là. A 20 ans, on est prêt à se battre pour des causes précises, pour défendre ses intérêts et ceux de ses semblables : lutter contre le racisme, défendre les stagiaires, revendiquer de meilleurs conditions de vie étudiante, dire non aux OGM, demander plus de postes d'enseignants, militer pour les droits de l'homme, la biodiversité, etc.
On cherche peut-être moins à changer la vie qu'à habiter sa propre vie, lui donner des couleurs, bâtir des projets. La recherche de sens n'est plus seulement politique, elle s'invite dans la vie professionnelle (on veut mettre du sens dans son travail), personnelle ou spirituelle.
D'une certaine façon, si les valeurs de Mai 68 sont bien mortes du fait de l'évolution du contexte historique, la recherche de sens qui habite chaque personne en particulier dans sa jeunesse est plus forte que jamais...
Lire aussi :
- Le Monde en 1968
Trente ans de chômage sont passés par là. A 20 ans, on est prêt à se battre pour des causes précises, pour défendre ses intérêts et ceux de ses semblables : lutter contre le racisme, défendre les stagiaires, revendiquer de meilleurs conditions de vie étudiante, dire non aux OGM, demander plus de postes d'enseignants, militer pour les droits de l'homme, la biodiversité, etc.
On cherche peut-être moins à changer la vie qu'à habiter sa propre vie, lui donner des couleurs, bâtir des projets. La recherche de sens n'est plus seulement politique, elle s'invite dans la vie professionnelle (on veut mettre du sens dans son travail), personnelle ou spirituelle.
D'une certaine façon, si les valeurs de Mai 68 sont bien mortes du fait de l'évolution du contexte historique, la recherche de sens qui habite chaque personne en particulier dans sa jeunesse est plus forte que jamais...
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