Savons-nous recevoir et transmettre aux autres ?



C'est un sujet souvent mis de côté en ces temps où il ne semble plus y avoir de temps : la transmission. Sait-on toujours transmettre des mots, un langage, des traditions, des valeurs, une identité ? Dans une série de débats sur la relation à l'autre, l'association "Conversations Essentielles" a posé la question à plusieurs personnalités : Arthur H, musicien et chanteur; Cécile Ladjali, enseignante, Jean-Claude Guillebaud, journaliste et écrivain, Henri Gougaud, écrivain, conteur et poète. A sa façon, chacun a apporté des éléments de réponse.




La transmission en crise : un fossé entre les riches de mots et les pauvres de mots

Savons-nous recevoir et transmettre aux autres ?
Dans un monde où tout va tellement vite, où les moyens de communication et d'information dépassent largement l'entendement de nos grand-parents, qu'en est-il de la transmission? L'heure n'est plus vraiment à la transmission orale, comme on l'entendait autrefois. La télévision, Internet, la radio, les téléphones portables, les "IPods" interfèrent sur la communication directe de personne à personne.

Cécile Ladjali : ''quand les mots ne sortent plus, alors jaillit la violence''
Cécile Ladjali : ''quand les mots ne sortent plus, alors jaillit la violence''
Alors, sommes-nous dans la "crise de la transmission" ? Qu'en est-il à l'école, où sont immergés les enfants, les jeunes, et où les générations se succèdent ?  Cécile Ladjali, enseignante en ZEP en Seine-Saint-Denis et auteur de "l'Eloge de la transmission" n'est pas très optimiste :  "Dans les classes à St Denis, la culture subit une véritable suspicion de la part des jeunes de banlieue. Dans les cités, on est dans les moeurs du "parler mal", la tendance est au vulgaire. Il s'agit de faire comme tout le monde pour avoir une place, survivre. D'où cet énorme fossé qui se crée de plus en plus, entres les riches de mots et les pauvres de mots".                         
                        
Pour l'enseignante de lettres, il y aurait déculturation totale. Et c'est cet écart entre la culture et la non culture qui créerait de la frustration, source de violence. Quand les mots ne sortent plus, surgit la violence. Une violence qui n'est pas propre à la banlieue mais qui guette tous ceux à qui le langage fait défaut. Par exemple dans la fameuse "crise d'adolescence", temps où l'on se renferme et où l'on a tant de mal à communiquer avec l'extérieur, les parents, enseignants, adultes en particulier.  "Je dis à mes élèves que la force et le pouvoir viennent de ceux qui ont les mots", dit Cécile Ladjali. 

Un monde déstructuré, et alors ?

Le langage est-il en danger ? Pour sa part Arthur H, chanteur qui manie les mots avec une certaine habileté, reconnaît vivre dans un monde déstructuré : "Je suis né en 1966, la famille a pété, l’école a pété, l’université a elle aussi pété, il ne restait qu’un champs de ruines".

Toutefois, cela ne lui semble pas forcément être un mal. Pour lui, il y a tant à perdre qu'à gagner. On retrouve la querelle des anciens, partisans de la tradition, et des modernes. "C'est à chacun de réinventer quelque chose, estime Arthur H. Et cela, par rapport à la tradition ou pas". Il s'agirait donc de déconstruire pour mieux reconstruire. Du passé, faisons table rase en quelque sorte !

La transmission parents-enfants : que faire de cet héritage ?

Jean-Claude Guillebaud : ''Pour bien transmettre, il faut habiter la parole, être authentique''
Jean-Claude Guillebaud : ''Pour bien transmettre, il faut habiter la parole, être authentique''
Et dans la famille, autre lieu de transmission, qu'est-ce qui fait que cela "marche"? Jean-Claude Guillebaud, journaliste, se souvient d'une remarque de son fils : "On a l'impression que ce prof croit ce qu'il dit, du coup on avait envie de le croire !". Il faut habiter la parole. Etre authentique, afin que la transmission perdure. Guillebaud dit encore : "On attend des gens qu'ils soient vivants !".

Autrement dit, la transmission ne se fait pas seulement par la parole, mais aussi par la vie. Pour Arthur H, les parents transmettent la vie, la légèreté, la joie mais aussi les peurs, les tristesses : ils sont les transmetteurs de l'émotion qu'ils portent.   

Cet héritage reçu de nos parents, en est-on prisonnier ? Pour Guillebaud, devenir adulte, c’est  justement  trouver le bon équilibre entre la rupture et la conservation de l'héritage reçu.  Il se s'agit pas de vivre tout l'héritage, mais d'en faire avant tout un usage personnel. Chacun ferait le tri de ce qu'il lui semble bon ou mauvais, afin de se reconstruire et se trouver lui-même.

Un héritage commun à l'humanité ?

Henri Gougaud : ''Il suffit de dire ce qu'on croit juste, vrai''.
Henri Gougaud : ''Il suffit de dire ce qu'on croit juste, vrai''.
Pour Henri Gougaud, conteur, il suffit de "dire ce que l’on croit juste, vrai ! [...] Il ajoute que le rire fait partie de cette transmission de soi aux autres, le rire se partage ; rire, c’est rire avec"; C’est lorsqu’on transmet avec amour, avec joie, que quelque chose peut vraiment être transmis, ce quelque chose d’indicible qu’est la vie.

Jean-Claude Guillebaud déplore en Europe "une sorte d’héritage de la tristesse qui se transmet. On a perdu quelque chose tandis que dans les pays pauvres, ceux qui affrontent le pire se transmettent la joie"
D'autre part, il ne suffit pas de parler, encore faut-il communiquer de personne à personne ! Et Guillebaud de s'interroger sur les dangers des nouveaux moyens de communication : ils donnent accès à une information sans limites, mais portent le danger d'un appauvrissement de la relation personnelle.

Si vous aviez une seule chose à transmettre...

Finalement, c'est lorsqu'elle est défaillante que la transmission révèle son prix. Au cours de cette "conversation essentielle" qui faisait partie d'une série sur "la relation à l'autre", les participants pointent tous l'importance du lien créé entre celui qui transmet et celui qui reçoit. Un lien d'humanité, de culture, ou d'affection selon les cas. Sans transmission, pas de dialogue ni de partage humain, chacun se retrouve face à son individualité, enfermé  en lui-même. Et prisonnier de sa "carapace-corps", il  éprouve de la difficulté à s'ouvrir aux autres, à être poreux à leur amour.

"Il y a un héritage commun à tous les hommes qu'il faut absolument transmettre, c'est la notion de partage", estime quant à lui Jean-Claude Guillebaud en conclusion.
Et vous, si vous aviez une seule chose à transmettre, laquelle choisiriez-vous ?

Savons-nous recevoir et transmettre aux autres ?
- Les "Conversations Essentielles " organisent des débats dans plusieurs villes de France dans un esprit d'ouverture et de rencontre sur des questions de sens.

- Prochain débat : "Que la confiance règne", le 30 septembre 2009 à 20h30 à Paris.
Renseignements : www.conversationsessentielles.org

Brigitte Tran

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