Un jeune légionnaire tué en Afghanistan


Augustin commande une compagnie du 2e REP. En Afghanistan depuis janvier 2010, il a participé aux opérations menées dans la vallée de Tagab début avril durant lesquelles un légionnaire de sa compagnie, le soldat Hutnick, a été tué. Pour que la mémoire de ce jeune soldat français soit honorée et que le silence ne le tue pas une seconde fois, il a adressé cette lettre à un ami journaliste du site Libertépolitique.com, qui nous a autorisés à la publier ici.





"Cher ami, la nouvelle tombe dans les médias aussi vite qu’Hutnik est lui-même tombé. C’est le droit à l’information. La France doit savoir que meurent ses enfants, même s’ils le sont d’adoption, comme lui, Slovaque. Tu le sais, je ne suis pas journaliste mais soldat. Je ne suis pas un professionnel de la communication comme toi. J’ai peu appris à relayer des informations d’une telle portée. C’est pourquoi il faut que tu m’aides. Il faut que tu m’aides, car j’ai le sentiment que, dans la précipitation du spectaculaire, on le tue une deuxième fois. J’ai l’impression qu’on bafoue le patient travail qu'il a fait avec son bataillon depuis trois mois – et pour lequel il est mort. J’ai besoin que tu m’aides à faire sentir ce qui se passe réellement ici, à faire comprendre ce qui justifie que je laisse ma femme et mes enfants pendant le long temps de cette mission. Que tu m’aides à proclamer que, malgré sa mort, ce n’est pas un échec. Que tu m’aides… plutôt, que tu l’aides…

Hier après-midi, Hutnik a bravement accompli son devoir, sa mission jusqu’au bout, en bon légionnaire. Ce matin, le poste radio annonce : "un soldat français du 2ème régiment étranger de parachutistes est tombé dans la vallée de Tagab en Kapisa, région où les talibans sont toujours plus virulents". Voilà. Ces derniers ont gagné ! A la face du monde, ils sont les puissants, incontrôlables et vainqueurs. Mais, en fait, s’est-on interrogé sur ce qu’il se passe réellement dans la basse vallée de Tagab ? Ce sud Tagab où aucun occidental ne pouvait passer sans de sérieux accrochages. Ce sud Tagab où deux de tes confrères journalistes ont été, il y a cent jours, enlevés. Ce sud Tagab que notre armement permettrait de mettre à feu et à sang ?

Un travail de mesure, de patience qui finit par payer...

Au contraire, Hutnik et ses camarades ont réussi l’incroyable pari de s’implanter dans la zone, d’y rester, sans heurts, d’y acquérir, progressivement, la confiance de la population, de confier, petit à petit, sa sécurité à l’armée afghane plutôt que française. A quel prix ? Celui d’une stricte discipline au feu, d’une retenue des coups portés. Celui d’un certain dédain du danger, de ne pas répondre systématiquement et de manière aveugle.

Accuser le choc, ne frapper que lorsqu’on est certain ; cogner peu, mais taper à coup sûr, fort et ciblé, seulement alors qu’on l’a décidé. Etre sûr, pour garder la main, préférer le feu rare mais précis, neutraliser seul celui qui nous tire dessus... en être persuadé et l’accepter ! Ce travail de mesure, de patience d’un Hutnik rongeant son frein à force d’encaisser, paie... Les femmes et les enfants, les hommes eux-mêmes, constatent que les seuls coups assenés ne tombent que contre les vrais adversaires. Ils voient nos troupes sans volonté de détruire, maîtresses de leur force. Alors qu’elle trouvait hier des combattants, Tagab l’insoumise cherche à présent son développement.

Appuyez le dernier combat d’Hutnik, aidez cette population...

Le travail du soldat est loin d’être terminé : il faut remonter plus au Nord vers ses camarades de l’autre groupement français, poursuivre son patient travail de pacification. Derniers tirs sporadiques, Hutnik tombe. Hutnik tombe sous les tirs des derniers groupes insurgés présents. Hutnik tombe car les talibans sont justement de moins en moins virulents.

Aussi, aide-moi à honorer la mémoire de cet ardent légionnaire. Qu’on ne gâche pas sa dernière tâche, qu’on ne gâche pas sa mort. Qu’on n’offre pas une victoire de communication à l’adversaire fébrile. Au contraire, avec tes confrères journalistes, appuyez le dernier combat d’Hutnik. Aidez cette population qui désormais, d’elle-même, dénonce l’insurgé. Je vous en conjure, parlez des projets d’essor qui peuvent et doivent être proposés au sud Tagab, évoquez la culture du safran qui pourrait remplacer celle du pavot, venez compléter l’œuvre de pacification par celle du développement… et laissez à Hutnik les fruits de son travail. "

Augustin, à Tora, le 9 avril 2010

Publié sur le site Libertepolitique.com/jeunes

Lire également le témoignage de Lionel, 26 ans, mes six mois en Afghanistan



le Lundi 26 Avril 2010

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