Grossesse inattendue : la détresse des ados


Tags : IVG

Il suffit parfois d'un oubli de contraception, d'une erreur, d'une seule rencontre, pour qu'un bébé inattendu s'invite. Pas facile de se retrouver enceinte lorsque, parfois très jeune, on n'avait pas encore envisagé d'être mère. Conseillère conjugale et familiale dans le Val-d'Oise, Christine reçoit des adolescentes et des jeunes femmes confrontées au choix terrible de l'accueil d'un enfant ou d'une IVG. Elle raconte.




Dans quel cadre recevez-vous les jeunes femmes enceintes ?

Enceinte ? Avant toute décision, il est important de pouvoir parler.
Enceinte ? Avant toute décision, il est important de pouvoir parler.
Je travaille dans un hôpital du Val-d'Oise où je suis chargée de recevoir les femmes enceintes qui envisagent une IVG. Dans la pratique, je vois surtout des mineures, car depuis 2001, les femmes majeures ne sont plus tenues par la loi d'avoir un entretien avant l'IVG. Celles que je reçois ont entre 14 et 18 ans : elles sont malheureusement de plus en plus jeunes.

Je travaille également en PMI où je fais des tests de grossesse en lien avec un médecin gynécologue qui m'a délégué cette tâche. C'est moi qui reçois les femmes. Je mets la bandelette dans l'urine et lis le résultat avec chacune.
Ainsi elles ne sont pas seules à ce moment-là. Si le test est positif, elles peuvent déjà exprimer leurs craintes, on peut parler et prendre le temps de réfléchir ensemble. Il faut d'ailleurs faire savoir aux jeunes filles qu'elles peuvent ainsi aller faire un test de grossesse en PMI, gratuitement. C'est beaucoup mieux que de le faire seule chez soi.

Que vivent les jeunes que vous recevez en entretien ?

Celles qui sont très jeunes ne réalisent pas du tout ce qui arrive. A 14 ans en général, on n'a pas la maturité adulte, on n'a pas encore envisagé d'être mère, on n'en est pas là. Pour beaucoup, cela ne veut rien dire. Alors, elles nient, elles refusent d'admettre la réalité, elles sont dans la période adolescente où l'on se croit encore tout-puissant. Je me souviens de l'une d'elle me disant : "Mais madame, c'est IMPOSSIBLE !".
On reparle de ce qui s'est passé. La plupart du temps, le préservatif était censé être le moyen de contraception, mais au moment du rapport, il n'y en avait pas. Ou bien le préservatif n'a pas été bien utilisé, le garçon s'est retiré trop tard. Ou encore le rapport a été impulsif, on n'a pas réfléchi. Les premiers rapports sont souvent non protégés et j'ai vu des filles enceintes après leur première relation sexuelle.

Lorsqu'elles sont ainsi, l'entretien dure peu longtemps. Parfois tout de même, environ une fois sur trois, de très jeunes filles expriment le désir de garder leur enfant mais peu le pourront finalement.

Pour quelles raisons ?

Très souvent elles viennent avec leur mère. Et en général, les mères poussent beaucoup à l'IVG car elles pensent qu'un bébé va compromettre l'avenir de leur fille. Souvent la fille ose à peine dire ce qu'elle aimerait faire. Je rappelle aux familles que la loi interdit de forcer une jeune femme à avorter. Mais il faut savoir que plus on est jeune, plus on est soumise à la pression de sa famille. Les filles qui prennent des risques devraient absolument parler de cela avec leur famille avant.

Je me souviens d'une jeune fille qui était venue avec sa mère et sa soeur. Elle voulait être puéricultrice et aimait beaucoup les enfants. Elle a dit qu'elle ne voulait pas avorter, mais sa mère et sa soeur étaient furieuses. Elle est revenue deux fois à l'hôpital. Je ne sais pas ce qu'elle a finalement décidé de faire. Une autre a été forcée par sa mère, et elle a fait ensuite une tentative de suicide.

Comment se passent les entretiens, quel est votre rôle ?

On part toujours de la réalité, de la situation dans laquelle elles sont. On revoit ce qui est arrivé. J'essaye de les rejoindre au plus profond de leur être, d'être dans le vrai, de leur permettre de dire où elles en sont de leur vie, de leurs souffrances, de leur relation de couple... Veulent-elles garder leur copain ? Arrêter ? Prendre du recul ? Ce n'est jamais pareil car chaque personne est unique.

Souvent, je fais émerger leur désir d'enfant. Il y a toujours une ambivalence : la femme a un désir d'enfant enfoui et en même temps, elle ne veut pas garder cet enfant-là parce qu'il dérange les plans qu'elle avait. Les filles qui ont des projets d'études, des plans de carrière en particulier. En ayant la possibilité d'en parler, certaines reconnaissent qu'en réalité, elles désirent un enfant. Une fois, j'ai vu une fille de 18 ans qui avait déjà avorté trois mois plus tôt et était à nouveau enceinte. Je me suis demandée si au fond elle n'avait pas envie d'avoir un enfant et elle a reconnu que oui. Elle a décidé de garder son enfant et comme elle n'avait aucun soutien familial, je lui ai indiqué un foyer où elle a pu être accueillie durant toute sa grossesse.
 

Donnez-vous votre avis, que leur conseillez-vous de faire ?

Je pars de leurs désirs profonds, je leur donne l'occasion de les exprimer. Je leur donne aussi des éléments pour réfléchir et pour choisir. Toutes sont bien conscientes en tout cas de porter un enfant. L'avortement, quand elle l'envisage, leur fait très peur. "Je n'aurais jamais voulu faire cela", disent-elles. C'est un combat terrible car elles sont souvent prises entre la perpective de l'avortement et la pression de leur famille ou de leur copain.

Certaines viennent-elles avec leur copain ?

Rarement malheureusement. Souvent, je leur demande de revenir avec lui. J'essaye alors de provoquer un moment de vérité entre eux, de permettre à chacun de s'exprimer librement. La plupart du temps, le garçon est très décidé : il veut que son amie avorte. Il dit "Elle va réfléchir, madame, mais elle le fera (l'avortement)". Souvent la fille est triste, elle pleure.

Avec des couples plus mûrs, il arrive qu'ils se mettent vraiment à dialoguer et que la fille s'autorise à dire : "Mais moi, j'aimerais bien le garder"... Mais le plus souvent, la fille ne se l'autorise pas. Quand elle vit avec son copain, elle est très dépendante de lui affectivement. Son copain à ce moment-là, c'est tout pour une fille ! Elle avorte parce ce qu'elle ne veut pas le perdre.
Parfois aussi, certaines viennent demander l'avortement parce qu'elles quittent leur copain. C'est une façon inconsciente pour elle de tourner la page : supprimer le fruit de cet amour, pour supprimer l'amour et quitter son copain. La blessure terrible de l'avortement leur permet de faire le pas. C'est très dur bien sûr, mais cela arrive.

Et celles qui veulent poursuivre leur grossesse, comment les aidez-vous ?

Quand elles ont envie de garder l'enfant, je leur permets aussi d'exprimer leurs craintes, leurs questions. On envisage les choses très concrètement : où peuvent-elles vivre leur grossesse? Je leur donne des adresses de foyers où elles peuvent être accueillies et aidées sur le plan matériel et humain. Beaucoup ne veulent pas être dépendante de leurs parents et elles ont raison !

On parle aussi de ce que va représenter cet enfant, de la façon dont il va s'inscrire dans une relation de couple ou dans la vie de la jeune femme. Certaines veulent garder leur enfant parce qu'elles ont manqué d'affection et on y réfléchit ensemble : elles vont avoir un enfant à aimer mais l'enfant, même s'il leur donnera beaucoup de tendresse, ne sera pas là uniquement pour leur donner de l'amour. Malgré tout, l'enfant va donner un nouveau sens à leur vie. Accueilllir un enfant alors qu'on est très jeune, c'est un événement qui fait beaucoup mûrir, qui fait rentrer dans l'âge adulte.

Revoyez-vous celles qui ont subi un avortement après l'IVG ?

L'affiche du film roumain, palme d'or du festival de Cannes 2007.
L'affiche du film roumain, palme d'or du festival de Cannes 2007.
L'hôpital me demande de le faire systématiquement dans un suivi post-IVG. La loi le propose d'ailleurs, mais en réalité, peu ont envie de revenir sur les lieux où a eu lieu l'avortement.
Une sur deux seulement revient. Quand je les revois, elles sont très mal. Certaines disent que si elles avaient su, elles n'auraient pas avorté. Elles sont dans un état de tristesse, abattues, comme anesthésiées.

Certaines se plaignent d'avoir eu très mal : ce sont celles qui ont pris la pilule abortive, un procédé souvent utilisé lorsque le secret familial est demandé (dans un cas sur deux). Dans ce cas il y a deux prises de pilules. La première prise provoque un arrêt de la grossesse. Le second cachet est pris à l'hôpital : il provoque des contractions (c'est ce qui peut leur faire mal), une hémorragie et l'expulsion de l'embryon. Beaucoup sont choquées émotionnellement d'avoir vu la sage-femme prendre l'embryon et le jeter... Dans certains hôpitaux, on leur fait seulement une anesthésie locale au niveau du col de l'utérus et l'avortement a lieu par aspiration : elles entendent le bruit de l'aspirateur qui décolle toutes les membranes qui enveloppent l'embryon et l'embryon lui-même.

D'autres encore ont du mal à intégrer ce qui s'est passé. En général, elles ont du mal à en parler, elles n'ont pas envie. Il y a un poids qui pèsent sur leurs épaules et cette souffrance, elles vont l'enfouir très profondément en elles.

Peut-on guérir d'une telle blessure ?

Oui, on peut guérir mais il y a tout un travail de reconstruction à faire. Souvent l'événement resurgit des années après, par exemple, au moment d'un accouchement. Je me souviens du cas d'une jeune femme qui, à la maternité, se sentait mal et dont le bébé pleurait beaucoup. Elle a pu me parler de la grossesse qu'elle avait interrompue des années auparavant,... et curieusement, le bébé s'est arrêté de pleurer.

La douleur de l'enfant que l'on a porté et que l'on a perdu reste toujours au plus profond de la mémoire. Un jour d'ailleurs, une fille de 18 ans qui allait avorter m'a demandé : "Est-ce que je pourrai garder l'échographie pour me souvenir du bébé ?". Une femme n'oublie jamais l'enfant qu'elle a porté, jamais..."

Lire aussi :
A l'aide, je suis enceinte !

Propos recueillis par Laetitia Baldry
Mardi 6 Février 2018



Psycho | Corps et sexualité | Amour | Couple | Un bébé ? | Addictions










Vos articles préférés !



Inscrivez-vous à la newsletter et téléchargez gratuitement le guide "7 clés pour réussir ses études"
Pour connaître mes droits sur le respect de la vie privée, je consulte les conditions générales de service.





Découvrir le cycle féminin : un guide pratique de 20 pages pour apprendre à observer chaque jour vos signes de fertilité (glaire, température). Un complément à nos articles (cliquez sur l'image pour accéder au fichier).