Faut-il encore avoir peur du bizutage ?



Interdit par la loi depuis 1998, le bizutage est officiellement banni du monde étudiant et l'accueil des nouveaux de plus en plus encadré. Pourtant certaines activités des week-ends d'intégration (WEI) posent toujours question et les dérapages n'ont pas cessé. Alors, comment distinguer entre jeux et bizutage ?



"Chez nous, ce n'est pas du bizutage, c'est vraiment soft" ; "Le bizutage ? C'est fini tout ça, dans le WEI on n'est forcé à rien"... A en croire la plupart des étudiants de première année, les pratiques de bizutage seraient de l'histoire ancienne : on les condamne bien sûr, tout en assurant qu'elles ont disparu, ou seraient seulement pratiquées "dans d'autres écoles", là où l'intégration est "hard".

De fait, depuis la loi de juin 1998, les actes de "bizutage" constituent un délit qui peut être puni de 7500 euros d'amende et six mois de prison ! Mais si la loi a permis de stopper les pratiques les plus extrêmes, si de plus en plus d'écoles imposent un code de bonne conduite, les "épreuves" proposées aux nouveaux élèves lors des fameux week-ends d'intégration (WEI) ont encore parfois des relents de bizutage. 

Preuve à l'appui les dérapages rendus publics chaque année : en 2013, une étudiante française de l'école vétérinaire de Liège (en Belgique) se retrouve dans le coma après avoir ingurgité d'énormes quantités d'eau ; en 2012, un jeu durant la journée d'intégration des étudiants en médecine de Lille II tourne à l'agression sexuelle ; la même année un étudiant se noit à Saint-Cyr lors d'une "soirée de transmission des traditions"...

Sans revenir sur le bizutage de l'étudiant de Paris Dauphine qui en 2011 s'était vu graver sur le corps en lettres de sang le nom de la Japad, l'association étudiante dans laquelle il voulait entrer !

Qu'est-ce qu'un acte de bizutage ?

Des pratiques de bizutage plus ou moins violentes subsistent.
La loi de juin 1998 indique "une série de manifestations où les élèves anciens, usant et abusant de leur supériorité née de la connaissance du milieu, du prestige de l'expérience et d'une volonté affirmée de supériorité, vont imposer aux nouveaux arrivants, déjà en état de faiblesse, des épreuves de toute nature auxquelles, dans les faits, ils ne pourront se soustraire sous l'emprise de la pression du groupe, du conditionnement et de ce que l'on peut appeler des sanctions en cas de refus, comme l'interdiction d'accès à divers avantages de l'école, l'association des anciens élèves, etc."

Est-on vraiment libre de dire non ?

La loi évoque donc la contrainte : il y a bizutage quand des épreuves sont imposées aux nouveaux arrivants. "Or dans le WEI, on peut toujours refuser de participer à un jeu", arguent les étudiants.

En pratique pourtant, l'effet de groupe et la façon dont ces jeux sont présentés, avec moqueries pour celui ou celle qui renâcle et crainte d'être mis(e) de côté, rend souvent la contrainte très subtile comme l'a observé Charles Mintz, un étudiant qui a fait un mémoire sur le bizutage en 2012 : "Il semblerait que la contrainte soit si sociale, si tacite qu'elle devienne invisible aux yeux des acteurs", écrit-il.

L'auteur du mémoire décrit certains des "jeux" proposés au cours d'un WEI : dans le car, faire passer un bonbon de bouche en bouche le plus vite possible, se déshabiller de façon à former la plus longue chaîne de vêtements, demander à des étudiants de chanter des chansons paillardes ou de boire de l'alcool.
Le libre consentement des participants ne suffit pas à absoudre les responsables

Sur le lieu du week-end, ce peut être le "jeu de la chope la plus sale" où un étudiant doit d'abord ingurgiter du Roquefort, du vinaigre, de la nourriture pour chat, du poisson, de l’ail avant d'embrasser avec la langue tous les membres de son équipe disposés en ligne.

"C’est incroyable à quel point tu peux t’humilier toi-même pour faire gagner ton équipe et ne pas la pénaliser", reconnaît un étudiant. Il s'agit bien là de la pression du groupe qui peut vous pousser à faire gestes ou actes dégradants ou humiliants.

En juillet 2013, la ministre de l'Enseignement supérieur a donc dû rappeler dans une circulaire que  "Le libre consentement des participants ne suffit pas à absoudre les responsables" (d'actes de bizutage).

Gare à la manipulation mentale

Le roman de Solenn Colleter dénonce le bizutage.
C'est d'ailleurs souvent parce qu'ils n'ont pas osé dire non que certains "bizutés" s'en veulent durant des mois et souffrent en silence des humiliations subies...

Ainsi Solenn Colleter, Ingénieur aéronautique chez Airbus, a attendu plus de dix ans avant de raconter dans un livre paru en 2007 (Je suis morte et je n'ai rien appris, éd. Albin Michel) le bizutage subi à son arrivée dans une classe préparatoire.

Elle y dénonce le jeu de manipulation mentale qui fait croire au bizut qu'il doit accepter n'importe quoi (jusqu'à mourir) pour faire partie du groupe, se faire accepter, être fortifié, recevoir une pseudo initiation ou "renaître". "Je suis morte et je n'ai rien appris", répond-elle dans son livre.

Alcool et sexisme, deux points d'alerte

Aujourd'hui, deux éléments favorisent les dérapages au cours des WEI. Il y a d'abord l'alcoolisation massive de tous, nouveaux ou anciens.

L'alcool est souvent très présent dès le voyage en car. Puis arrivent les jeux à boire, ou les rasades d'alcool fort entre chaque épreuve. Lors de la soirée, l'alcool coule aussi à flots, comme lors d'une soirée "ordinaire". De fait, l'alcool parait "normal" à nombre d'étudiants qui n'y voient qu'une occasion de s'amuser, mais les dégâts sont là : en octobre 2013, un étudiant ivre qui avait été forcé à boire lors d'une soirée d'intégration de l'association Course-Croisière Edhec a été retrouvé grièvement blessé après une chute par la fenêtre.

L'ivresse conduit aussi à des relations sexuelles non désirées, des vidéos peuvent être tournées et postées sur internet. De façon générale, nombre de jeux imposent aux filles des épreuves à connotation sexuelle dégradante : les garçons doivent mimer des éjaculations devant des filles à quatre pattes, des étudiantes doivent introduire un préservatif avec les dents sur un concombre tenu par un garçon... Là encore, faut-il tout accepter au prétexte qu'il s'agit "juste de rire" ?

Comment réagir face à un bizutage ?

Pour vous informer et éventuellement vous défendre, vous pouvez vous adresser au Comité national contre le bizutage (CNCB www.contrelebizutage.fr) qui rassemble nombre de documents et de conseils.

Ainsi, pour éviter de subir des actes dégradants et humiliants :

- Ne surestimez pas vos capacités, nous sommes tous vulnérables à la manipulation.

- Refusez les opacités, les secrets, l'interdiction faite à vos proches de vous joindre par exemple, n'acceptez jamais de suivre une consigne sans avoir bien compris ce qui va vous être demandé.

- Ne cédez pas au chantage : on vous menace de vous exclure du bureau des élèves, de la bourse aux stages ou autres, n'accordez aucun poids à ces menaces de représailles.

- Osez parler, dire ce que vous pensez. Contactez le chef d'établissement, ou bien les associations de parents d'élèves, les syndicats étudiants, le Comité contre le bizutage.

- Osez porter plainte. Si la loi du silence a longtemps prévalu et si les plaintes ont parfois eu du mal à aboutir, les choses pourraient être en train de changer. En juillet 2014 en effet, de lourdes peines ont été prononcées à l'encontre des étudiants qui avaient bizuté leur camarade à Dauphine en 2011.

Accueillir les nouveaux sans les bizuter ?

Un week end d'intégration dans une école de management.
Là encore, le Comité national contre le bizutage met en lumière la différence d'état d'esprit entre accueil et bizutage.

En gros, le nouvel étudiant est en position d'infériorité : il ignore ce qui l'attend, et connaît parfois l'inquiétude de la rentrée. Face à ce stress bien légitime - qui ne l'a connu - deux attitudes sont offertes aux anciens :
- Chercher à mettre le nouveau à l'aise, l'aider à découvrir le nouvel univers et à se détendre
- Ou bien profiter de sa pseudo-supériorité pour l'écraser, lui faire peur et le stresser un peu plus.

La première attitude se met au service du nouveau dans un logique de respect, la deuxième joue la domination et le mépris.
Exemple : vous prévoyez une épreuve civique de nettoyage du parc dans le cadre du week-end d'intégration. L'attitude d'accueil : tout le monde s'y met et vous prévoyez des binômes ancien-nouveau.
Le bizutage : seuls les nouveaux travaillent sous l'oeil goguenard des anciens qui jouent les petits chefs.

Heureusement, nombre d'écoles et de BDE ont cherché ces dernières années à inventer de nouvelles activités pour permettre aux étudiants de se rencontrer autour de valeurs positives :par exemple des WEI proposent des actions vertes et solidaires, des rallyes ou des défis sportifs.

Pour intégrer, soyez créatifs et montrez vos valeurs...


Jeudi 22 Janvier 2015
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