Quand devient-on vraiment adulte ?


L'âge adulte, ça commence quand ? A la majorité ? Aux études supérieures ? Au premier emploi ? Au mariage ? Au départ de chez les parents ? Qu'est-ce qui fait qu'on devient, ou pas, adulte ? Les réponses d'une psychologue, Isabelle Stoquelet-Dargent.



Qu'est-ce qui marque l'entrée dans l'âge adulte ?

L'adolescence marque le passage de la rive de l'enfance à l'autre rive, celle de l'âge adulte.
"On entre dans l'âge adulte à la fin de l'adolescence qui est ce moment fondateur où l'on quitte la rive de l'enfance pour aller vers l'autre rive. La règle de l'enfance, c'est la toute-puissance : l'enfant se croit tout-puissant. "Si je dis cela, si je veux cela, cela va se faire", pense-t-il. Or en grandissant, en allant vers l'âge adulte, on découvre qu'il ne suffit pas de vouloir quelque chose pour que cela se réalise. On découvre ses limites. C'est le moment où l'on fait l'état des lieux : je sais ce dont je suis capable et ce dont je ne suis pas capable. Si je viens d'une famille où l'on est de petite taille, j'accepte de ne pas être très grand, etc.

Etre adulte, c'est admettre la réalité ?

Etre adulte, c'est accepter de ne pas être Superman.
Oui, c'est un des éléments. Le jeune adulte doit accepter des réalités souvent différentes de son univers d'enfance (sa famille, ses amis, son monde). Elles vont s'imposer à lui, et il doit s'y confronter pour continuer à avancer. L'adolescent lui, a encore du mal à accepter cela : il voudrait comme dans son enfance continuer à être tout-puissant. C'est ce qui explique les conduites à risques de certains en sport ou sur la route. C'est une façon de dire "je vais vous prouver que je peux aller au-delà". Et il va falloir se confronter à un mur de béton pour accepter le réel. Par exemple, un garçon a toujours rêvé d'être pilote de chasse, et puis on découvre que sa vue n'est pas suffisante. Il tempête, il hurle, il lui faut du temps pour accepter...

Des filles, elles, vont refuser le réel d'une autre façon, plus affective. Elles vont rechercher à être aimées, entourées d'un amour fusionnel identique à l'amour donné par les parents dans l'enfance. Cela peut les conduire à des conduites de séduction ou de provocation (traîner dans les boîtes, draguer, boire) pour capter l'attention du sexe opposé. Et là encore, il faudra le choc avec la réalité - une déception amoureuse, une première relation sexuelle vécue dans la violence ou peu épanouissante - pour qu'elles retombent sur terre.

Mais la réalité, ce n'est pas seulement du négatif ?

Découvrir ses talents permet d'apprendre à se connaître
Non bien sûr. Le principe de réalité va être positif par exemple quand on découvre ses dons et ses compétences personnelles : apprendre des langues étrangères, faire du baby-sitting, tailler les arbres chez les voisins, être brillant dans certaines études, bien bricoler... On découvre ses talents au milieu de sa famille, de ses copains, de la ville où on vit, ou bien lors d'un voyage, d'un séjour à l'étranger. Et c'est ce qui va permettre de basculer dans le sens de la vie. Bien sûr, si on n'a que des échecs, c'est plus dur d'avancer. D'où l'importance d'avoir autour de soi des personnes - des profs, des adultes, des membres de sa famille - qui ont un regard positif sur vous. Car le but, ce n'est pas de rester adolescent, mais c'est de vivre de l'intérieur son adolescence pour aller vers ce rivage de l'âge adulte qui n'est pas désolé, ennuyeux ou mortifère, mais qui est une chance...

Quels sont les autres éléments qui font un adulte ?

Un autre élément important à travailler, c'est non pas l'indépendance (car nous sommes des êtres sociaux, dépendants les uns des autres), mais l'autonomie par rapport aux parents. Comme le disait Françoise Dolto, "l'adolescent devient adulte quand les angoisses de ses parents n'engendrent plus chez lui d'effets inhibiteurs". C'est-à-dire lorsqu'il peut agir librement sans se demander tout le temps si cela ne va pas faire de peine à ses parents. L'adulte n'est plus soumis à l'autorité parentale, il reste le fils ou la fille, mais n'est plus leur "enfant" au sens premier du terme, "in-fans", celui qui n'a pas la parole".

Aujourd'hui, on quitte souvent les parents progressivement, et du coup, c'est un peu flou...

L'essentiel est l'autonomie de la pensée.
Oui, mais il y a quand même des repères. Etre autonome, c'est par exemple être capable de vivre seul, être capable de se débrouiller matériellement pour gagner sa vie et surtout vivre avec ce que l'on a. Cela dit, l'autonomie matérielle n'est pas la plus importante. On peut être encore dépendant par l'argent, mais être autonome par la pensée. L'argent n'est pas le vrai lieu de l'autorité. Dans certaines familles d'ailleurs, le financement des études se fait par un prêt que le jeune remboursera ensuite. Ainsi, il reste libre dans sa tête, ce qui est le plus important.

L'autonomie de pensée, c'est se sentir libre de faire - non pas complètement à l'opposé de sa famille - mais autrement : trouver sa façon à soi d'organiser son temps, sa façon de penser, ses valeurs, ses amis... C'est aussi se projeter dans l'avenir en tant qu'adulte porteur de vie. Réfléchir à l'état de vie que l'on souhaite : se marier, fonder une famille, rester célibataire, ou avoir d'autres appels particuliers...

Y-a-t-il un âge moyen où l'on atteint ce stade d'autonomie ?

Une image du film Persépolis, l'histoire d'une jeune Iranienne en route vers l'âge adulte.
On sait quand l'adolescence démarre : c'est peu de temps après la puberté et cela se produit plus tôt chez la fille. Par contre, pour la sortie de l'adolescence, tout dépend du travail intérieur qui se fait chez chaque jeune. Cela peut prendre un temps plus ou moins long. Certaines jeunes filles, pour qui le passage de l'adolescence s'est fait de façon assez naturelle, peuvent vraiment être adultes vers 18-19 ans. Pour les garçons, c'est plus long, déjà parce qu'au départ la puberté démarre deux ans plus tard. Certains peuvent faire leur "crise d'adolescence" à 18 ans, ce qui vaut mieux que de ne pas la faire du tout. Et donc, même pour les garçons les plus précoces, il faut attendre au moins 21-22 ans, en tout cas dans la société française d'aujourd'hui.

En dehors du décalage dû à la puberté, pourquoi les garçons ont-ils besoin de plus de temps que les fille pour rentrer dans l'âge adulte ?

Les garçons trouvent leur identité dans la confrontation avec le monde.
De par son psychisme, la femme est plus tournée vers l'intérieur d'elle-même. Attention, cela ne veut pas dire qu'elle ne peut pas être pilote d'avion ou ingénieur, mais elle a une prédisposition plus grande à revenir en elle et à analyser ce qu'elle vit : c'est une dynamique réflexive (qui se reflète). Le garçon lui, est plus dans une dynamique expressive (tourné vers l'expression extérieure). Il a besoin de se confronter au monde, aux événements extérieurs, aux problèmes à résoudre pour se trouver : les études, la recherche d'emploi, les engagements... C'est en vivant tout cela et même les obstacles, car on ne lui fait pas de cadeau, qu'il forge son identité. Qui suis-je ? Où vais-je ? Cette quête intérieure est quelque chose de très subtil et de très long car il faut faire le tri de toutes les images ou les espérances qu'on a pu lui coller dessus : j'appartiens à une famille d'ingénieurs, mais je désire être charpentier. Ou bien j'appartiens à une famille de commerçants, mais je veux être médecin. Peu à peu, le JE va s'exprimer et s'autoriser à dire ce qu'il est.

Mais ne reste-t-on pas toujours un peu enfant ?

L'adulte a quitté l'égo-centrisme de l'enfant.
Bien sûr qu'il y a toujours quelque chose de l'enfant en nous... Mais il faut que cette part soit minime. L'adulte est celui qui a réellement renoncé à la toute-puissance de l'enfant, à la dépendance par rapport aux parents, et aussi à l'égo-centrisme, qui consiste à voir le monde à partir de soi-même. Il est normal que l'enfant soit égo-centrique, c'est lié en partie à son développement neurologique.

Mais une partie du travail de l'adolescence va être de passer de l'égocentrisme à l'oblativité, c'est-à-dire à la capacité de donner en se tournant vers les autres : dans son travail, avec ses amis, on devient capable d'organiser les choses en fonction des autres. C'est cette capacité qui rapproche de plus en plus de l'autre. Enfin, l'adulte est celui qui a renoncé à l'impulsivité de l'enfant qui a tendance à faire passer toutes ses émotions dans ses gestes avec de la brusquerie et de la maladresse. L'adolescent a un travail à faire pour apprendre à maîtriser ses émotions, ses pulsions et pas seulement sexuelles. Certains garçons ont du mal à acquérir cette maîtrise, ils ont tendance à agir avant de penser alors qu'il faut utiliser la parole pour exprimer ses sentiments et émotions.

Un véritable adulte, c'est celui qui dans un dialogue sait écouter l'autre et prendre la parole à son tour. C'est aussi celui qui sait faire la part entre ce qu'il peut exprimer et ce qu'il doit contenir, ce qui exige une vraie maturité;

Quels conseils concrets donnez-vous aux jeunes pour les aider à devenir adultes ?

Le sport peut permettre d'exprimer ses émotions
Pour apprendre à gérer son impulsivité, on peut faire du sport et surtout s'engager dans des activités associatives très variées : cela permet aussi de se détourner de soi pour se tourner vers les autres. Pour acquérir de l'autonomie, il faut bien sûr, ne pas craindre de s'aventurer progressivement en dehors de la sphère familiale, sortir de son cocon pour rencontrer des gens différents et apprendre à accepter la différence. Le mieux, c'est d'y aller petit à petit. Ainsi on n'aura pas besoin d'adopter des attitudes extrêmes (dans l'habillement, les choix de vie) pour se séparer de sa famille. Je ne suis pas identique à mes parents, c'est vrai, mais je ne suis pas non plus l'opposé. Ceux qui s'aventurent seuls dans des cascades bouillonnantes ont de forts risques de boire la tasse. Et ceux qui restent trop longtemps dans la similitude avec leur famille auront du mal à se dégager.

Rester trop longtemps dans la similitude avec sa famille, qu'est-ce que ça veut dire ?

Certains jeunes, plutôt des filles, peuvent être tentés de rester trop longtemps collés à ce qu'ils ont connu dans leur enfance. Leurs parents veulent qu'elles soient bonne élèves, elles sont bonnes élèves. Ils veulent qu'elles fassent de la danse ou de la musique, elles font très bien de la danse ou de la musique. Cela peut masquer une crainte d'aller de l'avant et retarde alors leur prise d'autonomie et la formation de leur identité. Et pourtant, des émotions bouillonnent à l'intérieur sans pouvoir réellement s'exprimer. Il est important de trouver ses lieux pour pouvoir s'exprimer à sa manière, de façon à affirmer sa personnalité et à s'engager vers l'âge adulte.

Est-il plus difficile de devenir adulte aujourd'hui qu'aux générations précédentes ?

Le contact avec la nature aide à accepter le temps.
Oui, c'est plus difficile et pour plusieurs raisons. D'abord parce que pour certains, la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans et le passage presque obligé par le bac est un calvaire. Ils sont souvent contraints de rester dans un système qui ne leur convient pas et les met progressivement en situation d'échec. Certains, à 15-16 ans, n'ont aucune façon d'investir positivement l'extraordinaire énergie de l'adolescence : du coup, ils retournent cette énergie contre eux et se mettent dans des situations qui leur font mal ou ils font mal aux autres. De même, le fait que l'on ne puisse pratiquement plus travailler avant 18 ans empêche de nombreux jeunes de devenir adultes en se confrontant à la réalité. On a abaissé la majorité à 18 ans, mais on ne donne pas aux adolescents la "caisse à outils" pour se construire : il ne leur reste plus qu'à assumer les conséquences de leurs actes au yeux de la loi. D'autre part, il y a l'influence de la vie urbaine qui nous éloigne de la nature : on ne voit plus les plantes pousser, on perd le sens du réel, le sens du temps. Celui qui vit à la campagne sait que même s'il a de l'argent, il ne peut pas faire pousser les salades plus vite.

En ville, on pense qu'avec de l'argent, on peut tout avoir, on veut tout, tout de suite. De ce fait, beaucoup se retrouvent à 18-20 ans sans aucune qualification, ou savoir-faire. Ils se sentent dévalorisés et leur insertion dans le monde adulte n'est pas facilitée. D'autres poursuivent des études très longtemps sans aucun ancrage dans le réel et ont aussi des difficultés à s'insérer sur le marché du travail en tant qu'adulte. Mais heureusement, c'est en train de changer avec le développement de l'apprentissage, des stages et des études en alternance. Les choses peuvent bouger très vite et il ne faut pas oublier que chacun garde en lui une capacité inouïe à se dépasser. Le jeune adulte a aussi une générosité qui peut l'aider à accueillir et à se lancer dans toutes sortes de projets. A 20 ans, tous les espoirs sont permis... A chacun de trouver le sien.

Dimanche 9 Juin 2013
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