Maud Fontenoy : 'Même à contre courant, on peut tous y arriver'


Après 151 jours de mer, elle a bouclé son pari fou de tour du monde en solitaire à contre-courant pour délivrer son message : "L'important, c'est d'aller jusqu'au bout et ne jamais lâcher". Son récit.



Maud Fontenoy, 30 ans, a réussi son tour du monde à contre-courant
Le 15 mars 2007, Maud a accosté au port de la pointe des Galets, à l'île de la Réunion, d'où elle était partie cinq mois plus tôt à bord de son grand voilier L'Oréal Paris pour un tour du monde pas comme les autres : à contre courant et à contre sens (d'est en ouest) !

Pari tenu donc mais à quel prix... Les mers du sud n'ont pas épargné la jeune femme qui a dû affronter tempêtes et dépressions, le passage du cap Horn, les 40e hurlants et les 50e rugissants, jusqu'à ce jour terrible où son bateau lui-même a subi l'irréparable, la casse du grand mât de 30 m, abattu comme un chêne foudroyé. En perdition dans les mers du sud, elle a pourtant refusé d'abandonner et s'est gréée un mat de forture, petit mat bricolé qui lui a permis de repartir et même d'arriver au port.
Mais le plus incroyable, c'est la forme de cette fille de 30 ans qui, à peine arrivée, la première douche chaude prise depuis 5 mois, rayonne de bonheur et de naturel et veut s'adresser au monde entier. Elle a un message, elle le dit et le redit : "L'important, c'est d'aller jusqu'au bout, de ne jamais lâcher. Même si la vie est difficile, même si l'on va à contre-courant".

Ce que j'ai fait, vous pouvez le faire

Maud Fontenoy franchit la ligne d'arrivée à bord de son voilier
Dès le début du projet, Maud a voulu vivre l'aventure avec d'autres, pour d'autres : une classe de banlieue dans une cité de Meaux en région parisienne, des enfants qu'elle a eus au téléphone chaque semaine durant le voyage, le monde entier grâce au site-carnet-de-bord tenu durant cinq mois et au PC permanent ouvert à tous sur la place du Trocadéro, à Paris, au pied de la tour Eiffel. Aujourd'hui elle veut d'ailleurs se consacrer aux autres : "Ce sera très probablement mon dernier voyage en solitaire, j'ai fait le tour de la question et j'ai trouvé des réponses. Ce voyage m'a ouvert aux autres." Surtout, elle ne veut pas jouer à l'héroïne : "Ce que j'ai fait, tout le monde peut le faire".

Maud renvoit chacun à ses propres réserves d'énergie, de volonté. Elle cite et recite Victor Hugo : "L'épuisement des forces n'épuise jamais la volonté". Son énergie, elle veut nous la transmettre, ou plutôt nous aider à retrouver la nôtre. Après la première douche, elle répond aux questions des journalistes avec un naturel époustouflant. Elle raconte ses galères, ses peurs immenses, ses joies et son aventure intérieure, et tout cela sans "se la raconter".

Les moments les plus durs

Le passage du cap Horn et des tempêtes des mers du sud
"Des moments très durs, il y en a eu beaucoup. Mais ce tour du monde à contre-courant, je l'ai choisi pour cela, pour faire passer un message très fort : j'ai voulu montrer que la vie n'est pas une autoroute, c'est parfois difficile, mais il y a des chemins de traverse, il y a plusieurs façons de se réaliser, et pour cela il faut se dépasser".
J'ai eu beaucoup de tempêtes, beaucoup de dépressions, des rafales à 70 noeuds, et très peu de pauses. J'attendais le répit avec impatience et là, coup de malchance, il y a eu ce mât... Une grande peur : 30 m de carbone qui vous tombe sur la figure, vous imaginez... D'un seul coup, cela voulait dire que je me retrouvais toute seule, à la dérive dans les mers du sud, avec ce mât qui tapait et risquait de crever la coque.

Ce moment, j'ai dû l'affronter seule. Tout était dangereux ! J'étais réfugiée dans la cabine, j'imaginais le pire. Mon atout, ça a été de rester concentrée : de morceler les problèmes. J'ai sorti le canot de sauvetage, la combinaison de survie, j'ai réfléchi à ce que je pouvais avoir besoin, des boites de thon, un crayon, une lampe torche, la trousse à outils. Et puis j'ai quitté le bateau, et ça a été un moment très difficile : abandonner mon bateau, c'était un peu abandonner mon rêve, décevoir tous ceux qui m'avaient soutenue. Et puis j'ai sorti la trousse à outils et je me suis mise à scier millimètre par millimètre le mât pour le libérer. Au moment de finir, j'ai eu très peur d'être emportée dans les profondeurs : finalement, la voile était coincée et j'ai dû la couper au couteau suisse... et puis tout est parti au fond.


Voulez-vous être secourue ?

Maud Fontenoy : c'est la volonté qui m'a fait tenir
Ensuite un cargo allemand est arrivé pour me secourir. Ca a été un moment difficile aussi. D'abord ils me criaient des choses et je ne comprends pas l'allemand. J'avais peur que le mât soit resté coincé dans la quille, mais non. Finalement, ils me demandaient : "Voulez-vous être secourue ?". Et là j'ai choisi de ne pas être sauvée, de rester seule, et ils sont repartis.

L'énergie dans ces moment-là, on la trouve. Mais ce tour du monde, je l'ai fait petit bout par petit bout.
Le manque de sommeil, c'est quelque chose qu'il faut aussi apprendre à gérer. Parfois on préfèrerait tout laisser tomber pour pouvoir dormir. Mais j'aime cette phrase de Victor Hugo : "l'épuisement des forces n'épuise jamais la volonté". C'est ce que j'ai vécu. J'avais des bleus partout, je me suis cassée les doigts et je ne pouvais plus me servir de mes mains, mais là, c'est la volonté qui m'a fait tenir et cela, c'est beaucoup d'espoir pour tous ceux qui ne croient pas en eux, parce que cette énergie, on l'a tous au fond de nous-même".

Les moments les plus fabuleux

"Il y en a eu plein. D'abord, on est lavé, lavé par les éléments et je partais pour valoriser cette nature humaine. Le passage du cap Horn, c'est un instant d'éternité. Mais finalement, un des moments les plus intenses, c'est peut être le moment où avec un petit mât, j'ai pu mettre une voile à l'avant et où mon bateau est reparti à 3 noeuds.

Le soutien des enfants, c'est un autre point fort de cette aventure. Beaucoup de classes m'ont suivie, j'ai beaucoup pensé à eux le jour du dématage. Des professeurs m'ont dit que déjà des enfants, des jeunes se sont révélés. Ils avaient décoré mon bateau de dessins, de poèmes. L'important, c'est d'aller jusqu'au bout et de ne jamais laisser tomber."

J'ai décidé de partir seule

"La solitude a été un choix, j'ai décidé de partir seule pour me retrouver face à moi-même, régler certaines questions, accepter mes qualités et mes défauts, etc.
Cela a forcément été source de difficultés, dans les meilleurs comme dans les pires moments. Mais cela a aussi été extraodinaire : ce que j'ai découvert sur moi, c'est à la fois cette force extraordinaire qu'on a au fond de soi, et en même temps, cette fragilité de l'être humain.

J'étais tenue à la vie par un fil si petit, si ténue... Dans les tempêtes, tu vois que ta vie est tellement éphémère, une vague de plus et tu peux disparaître, et la terre tournera toujours de la même façon. En revenant à terre, j'ai rembobiné ce fil, c'est le retour à la vie.

J'ai beaucoup pleuré

Rencontre avec les albatros et les baleines dans le monde austère des mers du sud
Cette fragilité, c'est aussi cette sensibilité qui est en nous. Pleurer devant un soleil couchant, jamais je n'aurais fait cela sur terre. En mer, je me suis découverte, je me suis ouverte à cette sensibilité et il y a eu des moments très intenses, j'ai beaucoup pleuré. Quand on rencontre ces animaux marins, ces baleines qui plongent à côté du bateau, ces albatros si majestueux... J'ai rencontré le monde austère des mers du Sud, et j'en reviens apaisée.

Et ces dernières heures sur l'eau : j'ai écouté le souffle du vent qui m'a portée, poussée, des fois un peu secouée, ce soleil parfois brûlant parfois caresse. Et puis la côte est apparue, un trait noir à l'horizon comme un miracle. Quand on est dans cette immensité désertique depuis si lontemps, c'est quelque chose de magique.

Quand la tête va, tout va

Maud Fontenoy veut maintenant aider les autres à réaliser leur rêve.
Aujourd'hui, je suis heureuse car il y a plusieurs semaines que je me suis préparée à l'arrivée. Je me sens vraiment en forme car quand la tête va, le corps va. Quand on est bien à l'intérieur, on est bien à l'extérieur. Et c'est un beau message pour tous mes petits malade de l'hopital de Garches en oncologie pédiatrique qui souffrent de cancers très graves. J'espère qu'ils iront trouver au fond d'eux-mêmes cette énergie parfois bien cachée.

Aujourd'hui mon bateau va retourner en métropole. J'ai le projet de le faire naviguer autour de France, pour emmener des enfants, y faire peut-être une exposition sur l'écologie. Ce voyage m'a ouvert aux autres. Je pense que ce sera le dernier que je ferai en solitaire, car j'ai trouvé les réponses aux questions que je me posais.
Et puis je vais faire un film et m'isoler pour écrire un livre, aller chercher au fond de moi tout ce que j'ai vécu. La médiatisation pour moi, c'est un coup de projecteur qui m'a permis de dire : dans ce monde un peu morose, il y a des projets simples qu'on peut monter de A à Z, des montagnes qu'on peut gravir échelon par échelon, car malgré les difficultés du quotidien, oui on peut changer les choses."

Samedi 8 Juin 2013

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