Martin Gray : "Si tu es un adolescent, si tu as un adolescent"


Pourquoi l'adolescence est-elle si difficile à vivre de nos jours ? L'écrivain Martin Gray livre son analyse : parce qu'on ne sait plus aider l'adolescent à vivre ce passage. Et que le monde adulte manque cruellement d'idéal.



"Si tu es un adolescent, tu sais combien ton âge est lourd à porter.


Si tu es un adulte, je voudrais te faire sentir ce poids et te demander d'être compréhensif.

Car l'adolescence est le moment du passage. Le corps change. Le visage n'est pas encore dessiné dans ses traits les plus vigoureux.
Parfois l'apparence et la silhouette générales sont celles d'un homme avec un regard d'enfant : on lit la naïveté dans le sourire et l'inachevé dans la bouche.

L'âge où tout semble fragile et incertain

Ne t'étonne pas si tu es un adolescent des difficultés que tu rencontres à vivre. Tu ne sais quelle route choisir. Tout est incertain. Tout semble avoir la même valeur. Où est le bien ? Qui dit le mal ? Tu te heurtes à un monde qui paraît marqué par le scepticisme et le pessimisme. Partout règne cette phrase : "A quoi bon ?" Et tu t'interroges à ton tour.

Et puis, tu sors de l'enfance qui est protection et tu arrives sur cette esplanade exposée aux vents qu'est la vie. Quel travail choisir puisque le travail est rare et que les métiers sont souvent accomplis sans vocation. Et pourquoi une passion ?

Prenons garde. L'adolescence est l'âge fragile, l'adolescence est l'âge de l'initiation

Toi qui te heurtes à l'adolescent, pense à combien de choses, qui nous semblent naturelles, il doit s'adapter ! A nos compromis, lui qui est intègre et absolu. A notre vieillesse aussi, lui qui se croit éternellement jeune. A notre société si hostiles, lui qui vient des douceurs familiales.

Et, en même temps, pour qu'il achète ce que nous produisons, nous le flattons. Nous l'incitons au désir. Nous agissons avec l'adolescent comme avec un poulain auquel nous donnons de l'élan, des coups d'éperon, auquel nous donnons faim et que nous retenons et que nous affamons."
Prenons garde. L'adolescence est l'âge fragile. L'adolescence est l'âge de l'initiation.

Qui guide les adolescents aujourd'hui ?

Dans toutes les sociétés, jadis, le passage de l'adolescence à l'état adulte donnait lieu à une initiation. Les Anciens entouraient l'adolescent qui subissait des épreuves. Au terme de ces cérémonies, l'adolescent était devenu un guerrier et pouvait affronter la société des hommes, dont désormais il était membre.
Où sont nos initiations ? Où sont les aînés et les prêtres qui entourent les adolescents ? Qui leur dit que le temps vient, pour eux, des responsabilités ? Qui leur dit que la société dont ils font partie doit être respectée ? Qui leur parle du sacré des choses ? Des ancêtres ?

Rien n'est pire que notre société qui n'offre à l'adolescent aucun idéal

Dans notre temps sans racines, où seule la consommation rapide des objets détermine nos actions, les adolescents sont laissés sans cérémonie initiatique. Alors, ne t'étonne pas s'ils les organisent à leur gré, s'ils prennent des risques pour se prouver qu'ils sont devenus des hommes. Quand ils se lancent à grande vitesse sur des circuits dangereux, quand ils pratiquent la violence et même le vol, quand ils se droguent parfois, ils cherchent à se prouver qu'ils sont des initiés. Ils se trompent. Mais qui les guide ?

C'est à l'adulte d'organiser ces cérémonies d'initiation qui feraient découvrir à l'adolescent qu'il entre dans une société qui a un visage. A lui de contester le visage, s'il veut... mais rien n'est pire que notre société qui ne lui offre aucun idéal."

Martin Gray, la force de la vie

Martin Gray, de son vrai nom Mietek Grayewski est un écrivain franco-américain, d'origine juive polonaise, né à Varsovie en 1922. Déporté durant la Seconde Guerre mondiale, à 17 ans, il réussit à s'enfuir mais sa mère et ses frères sont exterminés dans la chambre à gaz du camp de Treblinka, son père est fusillé devant lui dans le ghetto de Varsovie.

A la fin de la guerre, il rejoint sa grand-mère à New York, devient américain et fait fortune. Puis il se marie et s'installe dans le Sud-Est de la France.
Lors du grand incendie des collines de Tanneron (Var), il perd son épouse et ses quatre enfants bloqués dans leur maison isolée au milieu des pins.

Tenté par le suicide, il trouve cependant la force de survivre et de lutter pour devenir, dit-il, un "témoin de la beauté et de la grandeur de la vie" par l'écriture. Il transmet sa foi en la vie dans son célèbre ouvrage Au nom de tous les miens (1971), écrit en collaboration avec Max Gallo et porté à l'écran : "Les blessures deviennent, si l'espérance l'emporte sur la souffrance, les veines dans lesquelles ne cesse de battre le sang de la vie", écrit-t-il.

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