La musique aide-t-elle à mieux apprendre ?



Vaut-il mieux travailler en musique ou en silence pour étudier efficacement ? La musique peut-elle aider à apprendre ? Interfère-t-elle sur le cerveau ? Les réponses d'un formateur en neurosciences de l'apprentissage par ailleurs musicien.




Qui de mieux placé que Roman Buchta, à la fois expert en neurosciences de l'apprentissage et musicien, pour faire le point sur ce sujet controversé ? Depuis plusieurs années, il donne des formations dans des établissements d'enseignement supérieur sur la motivation, la gestion du stress et la préparation mentale avant les examens.

Mais il a une autre passion : "Ma vie se partage entre les neurosciences et la musique", confie Roman. Guitariste et compositeur, il écrit ses propres chansons à la frontière du hip-hop et du slam, et anime deux blogs, l'un musical, l'autre dédié aux méthodes d'apprentissage.

Roman Buchta a donc répondu à toutes nos questions sur le rôle de la musique dans l'apprentissage, et la façon d'utiliser son immense pouvoir.

Beaucoup d'étudiants ont l'habitude d'écouter de la musique en travaillant, qu'en pensez-vous ?

Roman Buchta, formateur et musicien © DR
Roman Buchta :  "On me pose souvent la question, et beaucoup d'étudiants m'assurent même qu'ils ne peuvent pas réviser sans musique. En réalité, il y a plusieurs éléments à prendre en compte.

D'un côté, la musique peut stimuler l'activité cérébrale. Plusieurs études ont montré que certaines musiques ont un impact positif sur quelques tâches cognitives.
Par exemple écouter de la musique classique calme peut favoriser la résolution d'équations mathématiques ; de la pop music rythmée permet d'être plus rapide pour faire de l'entrée de données sur ordinateur, cela peut multiplier par trois la vitesse de saisie. Mais c'est une activité qui ne nécessite pas une grande réflexion, contrairement au travail personnel qu'on demande en général à l'étudiant.

Ce qu'on sait de façon certaine, c'est qu'il faut éviter absolument d'écouter de la musique avec des paroles ainsi que de la musique trop forte, trop riche, trop fournie en basses, car cela va nous fatiguer et nous ralentir."

Le fait d'écouter des chansons gêne donc l'apprentissage, sait-on pourquoi ?

"Oui, le phénomène est scientifiquement établi. Quand on entend des paroles, même si l'on n'y prête pas vraiment attention, et même si on ne les comprend pas parce qu'elle sont par exemple en anglais, le cerveau se met à les traiter. C'est un peu comme si je place devant cet écran une pancarte avec le mot "maman" en gros : le cerveau lit le mot de façon automatique, il est donc en situation de double tâche cognitive

Or le cerveau humain ne peut pas faire deux choses en même temps. Dès qu'une tâche me demande un quelconque investissement cognitif, cela alourdit la mémoire de travail, celle qu'il faut ménager le plus possible. Cette mémoire de travail peut être comparée à la mémoire vive d'un ordinateur : et quand vous avez vingt fenêtres web ouvertes, vous voyez que votre PC va vraiment lentement. C'est la même chose quand vous faites du multitâche en étudiant.
 
"Il faut à tout prix éviter d'écouter de la musique à paroles en travaillant"


En plus, une chanson a un côté émotionnel qui a tendance à entraîner. Peu à peu, on entre dans la chanson. Lors d'une de mes conférences, une étudiante de PACES a reconnu que parfois, elle commençait à chanter les paroles de la chanson ! Tout le monde a ri, la démonstration était faite qu'il faut à tout prix éviter la musique à paroles.

Vous conseillez aussi de ne pas trop monter le volume ?

"Oui tout à fait. Au niveau du volume j'ai fait des expériences moi-même, et j'ai remarqué que quand le volume était un peu trop fort, même des musiques qui d'habitude m'aidaient bien déclenchaient rapidement un décrochage visuel : vous savez quand on perd en attention et que nos yeux commencent à partir dans le vide. C'est en général le signal qu'il faut faire une pause pour le cerveau. 

Or en mettant la musique un peu trop fort, ce phénomène se produisait au bout de 3 à 4 minutes au lieu de 25 à 30 minutes. Donc le volume est vraiment un point de vigilance.

Il faut donc se tester, voir sur soi ce qui fonctionne ?

"Oui, c'est ce que  je recommande systématiquement à tous les étudiants que je rencontre. Parce que bien sûr il y a des grands principes, et il vaut mieux les suivre. Mais après c'est à chacun de trouver la meilleure façon de les appliquer selon le contexte.  

C'est une façon d'être cartésien : je teste dans la réalité, et j'observe les résultats sur moi-même. Peut-être qu'une musique m'aidera à me concentrer alors qu'elle n'aidera pas mon voisin.

Il existe d'ailleurs un site ("Focus at will") qui permet de faire un test pour trouver le type de musique le plus favorable en fonction de notre typologie, de nos goûts et de notre profil d'apprentissage. Mais toujours de la musique sans paroles, là tout le monde est à la même enseigne.

Le silence n'est-il pas préférable dans tous les cas pour atteindre une bonne concentration ?

"Je serais plus nuancé. Il me semble que quand une musique nous aide vraiment à rentrer dans notre bulle, elle ne mobilise pas trop d'attention ; mais cela dépend de la typologie des tâches. Vous connaissez le "cocktail effect party" : quand on est en soirée et que l'on désire écouter quelqu'un malgré le bruit environnant, le cerveau crée de lui-même autour de nous une bulle attentionnelle. La motivation aide aussi beaucoup.
 
"Certains sons créés par ordinateur permettent de rentrer dans une bulle attentionnelle"

D'autre part il existe des sons créés par des machines à partir d'algorithmes qui peuvent favoriser la concentration : on a construit différents types de bruits et l'on a étudié leurs effets. Les "bruits blancs" par exemple semblent aider les nouveaux-nés à s'endormir.

Les "bruits roses" ou les "bruits marron" permettent de rentrer dans une bulle, et ils favorisent vraiment la concentration. Ils ont un bon effet chez les personnes qui ont des troubles de l'attention ou qui ont des acouphènes".

Et vous, personnellement : écoutez-vous de la musique en travaillant ?

"En général, soit je n'écoute pas de musique, soit quand j'ai des voisins bruyants dont je veux m'isoler j'écoute un "bruit marron".
Cela ressemble un peu à un bruit d'aspirateur ou de tempête lointaine et c'est très monotone : donc, comme ce qui est banal ennuie le cerveau, on finit par l'oublier et ne plus l'entendre. Mais en revanche, ce bruit a le mérite de tamiser le son de l'environnement, et de rendre moins saillants les éclats de voix de mes chers voisins.

Donc j'utilise ces sons et je les recommande beaucoup aux étudiants qui ont à travailler dans des environnements bruyants. Dans la même lignée, il existe une application mobile gratuite ("Sons de pluie") qui génère des sons imitant le bruie de la pluie. Ces sont tous des sons monotones qui ont la propriété de créer une bulle protectrice favorable à la concentration. J'en parle sur mon blog dans une note sur les musiques qui peuvent améliorer les performances cognitives.

Revenons à la musique : quels peuvent être ses effets favorables pour l'étudiant ?

"La musique, vous l'avez remarqué, a un effet incroyable sur notre humeur. L'écoute musicale provoque la sécrétion de plusieurs hormones liées au plaisir, comme la dopamine, la sérotonine et même l'ocytocine, l'hormone de l'attachement, si le morceau nous rappelle des émotions liées à la relation à l'autre.

Je me souviens d'une vidéo montrant un vieux papy atteint de la maladie d'Alzheimer. Il ne communiquait plus depuis des années mais quand on lui a fait écouter une musique qu'il adorait quant il était jeune, il s'est illuminé, il a commencé à chanter, à revivre, Pour moi, c'est un symbole du pouvoir de la musique.

Alors oui, la musique peut nous motiver ou nous détendre car elle module complètement l'activité du système nerveux. Donc le matin on peut écouter une bonne musique joyeuse qu'on adore en faisant un peu de gymnastique, et en rentrant le soir, on peut aussi s'accorder une pause en musique pour se détendre avant de se mettre à étudier. On peut aussi créer des rituels avec la musique car le cerveau fonctionne de façon optimale quand on a des habitudes, des automatismes. 

Conseillez-vous d'utiliser la musique pour la gestion du stress ?

Tout à fait, j'ai d'ailleurs mentionné sur mon blog une étude faite en Angleterre sur l'impact de la musique en situation de stress. Les participants étaient amenés à faire des tâches difficiles en temps limité par un chronomètre (d'où le stress). Et ils le faisaient sans musique d'un côté, puis en écoutant différentes musiques.

La musique qui s'est avérée la plus relaxante (Weightless, chez Marconi Union) est celle qui est parvenue à ralentir le plus le pouls. Sa pulsation ralentit progressivement, ce qui a un impact sur le coeur car on se synchronise sur ce qu'on écoute. C'est pour cela que la musique module l'activité  du cerveau : si on écoute quelque chose de très rythmé, le coeur va s'accélérer. Si on écoute quelque chose de calme, le coeur va ralentir.
Notre cerveau passe son temps à se mettre au diapason de notre environnement.

Si vous préparez un examen, il faut simplement vous entraîner en situation réelle, donc sans musique, car à l'examen vous n'y avez pas droit. 

Et la pratique de la musique, le fait de jouer d'un instrument par exemple développe-t-il des aptitudes particulières ?

"Oui, on sait par exemple que la pratique de la musique développe le corps calleux, l'organe du cerveau qui relie nos deux super-puissants hémisphères cérébraux.

C'est logique car chaque hémisphère contrôle la moitié du corps opposé. L'hémisphère droit contrôle la moitié gauche de mon corps, et mon hémisphère gauche contrôle la moitié droite de mon corps. Or quand je joue de la guitare ou du piano avec mes deux mains, je stimule mes deux hémisphères en même temps, et pour qu'ils se synchronisent, j'ai besoin de mon corps calleux.

Donc, le corps calleux est plus gros chez les musiciens. Le transfert d'informations entre les deux hémisphères est plus rapide chez eux, c'est quelque chose de significatif.

D'autre part la musique demande un énorme travail attentionnel. Jouer d'un instrument apprend à être attentif et le fait de s'entraîner à être attentif développe cette capacité que l'on pourra utiliser dans d'autres domaines."

Est-ce que le fait de savoir lire le solfège développe aussi certains talents ?

"Le solfège est effectivement un langage, c'est très mathématique, surtout à des niveaux très poussés, on rejoint Pythagore avec l'harmonie. Donc oui, le solfège développe clairement des compétences. Et si j'apprends ces notions quand je suis enfant, et bien j'utilise mon cerveau et dès que je le fais avec de l'énergie et de l'envie, je le stimule et il développe des compétences qui pourront être recyclées à l'infini dans d'autres domaines.

Car c'est vraiment une des propriétés de notre cerveau de pouvoir tout recycler. On peut par exemple se servir d'un concept appris en langage informatique pour apprendre une nouvelle langue vivante parce qu'on retrouvera la même mécanique, le même type d'articulation entre des éléments. Sous cet angle-là, la musique peut vraiment permettre de développer beaucoup d'habiletés.

C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle mon père m'avait inscrit au conservatoire.

Retrouvez des extraits de cet entretien avec Roman Buchta en vidéo


Et vous, de quel instrument jouez-vous ?

"je joue de la guitare. et j'écris des chansons de différents styles, plutôt du hip-hop mais toujours avec une notion de poésie et de recherche rythmique. Je n'ai pas encore publié, mais je travaille avec un bassiste et un batteur...

Avec mes blogs et les formations que je donne, je ne travaille plus qu'une heure par jour. Mai si on travaille intelligemment, cela permet de progresser.

Parmi les huit types d'intelligence qu'il a identifiés, Howard Gardner parle de l'intelligence musicale. Comment la définiriez-vous ?

"Je ne suis pas un spécialiste des , mais pour moi l'intelligence musicale serait cette habilité à composer la musique, à la comprendre et à ressentir intérieurement l'émotion qu'elle peut provoquer.

Certains musiciens n'étaient absolument pas des mathématiciens ni des physiciens, mais en revanche ils avaient un don pour anticiper l'impact émotionnel de certains enchaînements d'accords. L'exemple parfait, c'était Mozart qui recherchait "des notes qui s'aiment" et qui les trouvaient

Si l'on n'est pas compositeur, l'intelligence musicale peut aussi servir à choisir des musiques pour créer une ambiance ou aujourd'hui à recomposer de la musique sur ordinateur.
 

Que dire aux étudiants qui sont réticents à l'idée de ne plus écouter leurs chansons préférés lorsqu'ils travaillent ?

Ecouter sa playlist habituelle permet sans doute de passer un bon moment mais en réalité cela vous distrait. Or Il n'y a pas de travail de qualité sans une attention de qualité. Donc vous devez travailler plus longtemps, vous avez de moins bons résultats et moins de temps libre... 

J'encourage donc vraiment ces étudiants à tester les bruits roses ou marron. Il est crucial de repérer ce qui vous rend plus productif ou pas, c'est une clé pour réussir dans la vie.

Par ailleurs, lorsque vous êtes bien concentrés, votre esprit est occupé et vous n'avez plus besoin de chercher un peu de plaisir dans l'écoute de vos musiques préférées. Lorsque vous êtes attentif(ve) à une chose, vous devenez aveugle au reste. En neurosciences, on appelle ce phénomène "la cécité attentionnelle".

Quoi qu'il en soit, rappelez-vous que vous êtes plein de promesses car chaque jour, vous construisez le cerveau que vous aurez demain.

Pour aller plus loin

Retrouvez Roman Buchta dans ses deux blogs :

- www.hemispheres.coach est consacré aux neurosciences de l'apprentissage, en particulier aux étudiants qui souhaitent gérer leur stress et booster leur motivation pour réussir leurs études. 

www.ouimusique.coach est un site de conseils pour tous ceux qui jouent d'un instrument, chantent, composent. Comment rester motivé, concentré, vaincre le trac, progresser sans se décourager ? Roman Buchta fondent également ses conseils sur ses connaissances en neurosciences.

Un parcours pour améliorer vos méthodes de travail

Pour aider les élèves et étudiants à adopter de bonnes méthodes de travail, Réussirmavie a créé une plateforme de parcours en ligne : Méthodo Campus. Chaque mois, le parcours "Apprendre à apprendre" vous aide à muscler une facette de votre intelligence....

Propos recueillis par Michèle Longour
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