"La mort de mon cousin a changé mon regard sur la vie"



En juillet 2009, Adrien Serey a vu son cousin germain de 19 ans, Martin Mervoyer, abattu par un vigile à la sortie d’une boite. Cet étudiant en médecine témoigne de ce que ce drame a changé dans sa vie.



Peux-tu nous redire comment s’est passée la mort de Martin ?

Adrien (à dr.), et son cousin Martin (à g.), en vacances en Corse.
Adrien : "C’était le 16 juillet 2009. On était partis en vacances en Corse avec mon cousin Martin et des amis sur le terrain de mon grand-père. C’était notre premier jour et le soir, on a fait la fête et on a décidé de prolonger en allant au bar-discothèque qui est à 300 mètres de là. Il n’y avait presque personne et nous sommes rentrés gratuitement comme nous le faisions souvent car nous connaissions bien le patron et on allait souvent y faire un tour, puis on repartait jouer de la guitare sur la plage.

Mais ce soir-là, un videur s’en est pris à nous et, quand il a vu qu’un ami avait apporté un fond de bouteille de rosé, il s’est mis en colère. Martin a voulu parler calmement avec lui, mais il nous a dit de sortir. On s’est retrouvé dehors sur le parking et là, tout a été très vite.
Le videur a sorti une arme, j’étais à côté de Martin et j’ai eu le réflexe de reculer quand j’ai vu l’arme. Il l’a pointée vers Martin, presque à bout portant et il a dit « Recule, recule !». Martin a sans doute été tétanisé, il n’a pas reculé et l’homme a tiré dans sa poitrine et puis il s’est sauvé.

Martin lui, a fait quelques pas sur la route, il criait de douleur et puis il s’est écroulé. Je me suis précipité vers lui mais j’ai vu qu’il avait été touché au cœur. J’ai dit aux autres d’appeler les secours et j’ai essayé de faire un massage cardiaque, du bouche à bouche, mais il n’y avait rien à faire. Les pompiers n’ont rien pu faire non plus quand ils sont arrivés.

Tu as vu mourir ton cousin, mais tu en parles de façon paisible…

Ce qui m’a énormément marqué, c’est qu’il y avait tous nos amis sur le parking autour du corps de Martin et je ne sais pas pourquoi, ils se sont tous mis spontanément à prier. Pourtant, ce n’était pas des jeunes très religieux ; mais c’est venu comme ça. C’était à la fois très triste et très beau. Le lendemain aussi, après la nuit à la gendarmerie, on s’est retrouvé sur le terrain à 18 jeunes, et on a passé toute la journée à prier et à téléphoner aux familles pour annoncer la mort de Martin. C’était dur, mais on se soutenait les uns les autres, c’était une aide énorme.

Et puis ce qui m’a marqué, c’est le sourire de Martin avant sa mort. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je lui ai glissé au creux de l’oreille « Garde-nous une place au paradis ». Je ne sais pas s’il m’a entendu mais il a souri, et il est parti. C’était à peu près deux minutes avant d’expirer, après le temps de souffrance où il criait, il semblait apaisé. Cela m’a beaucoup aidé par la suite à garder l’espérance.

Tu crois en une vie après la mort ?

Je crois qu’il est auprès de Dieu. C’est curieux mais depuis plusieurs mois, Martin mûrissait. Il avait fait pas mal de bêtises pendant l’adolescence, mais à 19 ans, il commençait à se prendre en main. Il préparait l'ENS Cachan et il était de plus en plus homme, il se posait les bonnes questions. Il était croyant et je crois qu’il était prêt à dire oui si Dieu se présentait à lui.

Quels sentiments as-tu ressenti pour le meurtrier ? Les parents de Martin, eux, ont dit qu’ils lui pardonnaient, et toi ?

Ça c’est la pièce maîtresse. Fred et Martine, les parents de Martin, n’ont pas appelé à la vengeance. Juste après sa mort, ils ont écrit une lettre qui a été publiée par les journaux où malgré leur chagrin, ils appelaient à la paix et à l'amour et pas à la violence.  Cela peut paraître incroyable, mais pour eux, cela s’inscrit dans toute une démarche chrétienne qui appelle à pardonner aux ennemis. Malgré tout, ce n’est pas évident lorsqu’on perd un enfant, et là, ils ont reçu une énorme force pour pardonner.

Du coup, cela explique peut-être que moi qui était sur les lieux, je n’ai jamais éprouvé de rancune ou de haine pour Dominique Desanti, le meurtrier, ni sur le coup ni plus tard lorsque je l’ai revu pour la reconstitution des faits. Comme les parents de Martin, j’ai pu dissocier l’acte, le geste ultra-violent qu’il faut condamner, et la personne qui l’a commis.

Est-ce que tu lui as parlé ?

Oui, j’ai pu dire à Dominique que Martin lui pardonnait et que nous aussi on lui pardonnait. Il avait les larmes aux yeux. Je lui ai aussi demandé pourquoi il avait fait ça. Il m’a dit que ce soir-là, il était très mal, il était au chômage et avait trouvé ce petit boulot de videur. Il dit que son geste est dû à un mélange de fatigue, de drogue et d’alcool, mais qu’il regrette.
Il s’est rendu lui-même à la police quelques jours après son crime.

Est-ce que le drame de la mort de Martin a changé ton regard sur la vie ?

Cela m’a fait énormément réfléchir. Je suis curieux de nature, mais j’avais rarement réfléchi à ces questions de vie et de mort. J’avais 22 ans lorsque c’est arrivé et j’ai réalisé qu’on pouvait mourir du jour au lendemain ! Cela m’a fait prendre conscience de la chance que j’avais d’être en vie, de pouvoir goûter toutes les belles choses de la vie.
Je me suis dit aussi que cette vie, il ne fallait pas la gâcher, qu’il fallait optimiser ce temps, ne pas le perdre à faire des choses inutiles ou vides mais essayer de trouver un sens à chaque chose : le travail, les relations avec les amis, la famille...

Il y a des choses que tu fais différemment maintenant ?

Oui pour moi, ça été le déclic. Quand Martin est mort, j’étais le petit jeune qui sortait de l’adolescence et qui ne faisait rien pour les autres. Maintenant, j’ai mis plus  de réflexion dans ma vie, je participe à un groupe de prière qui a été lancé par des jeunes qui connaissaient tous Martin, et je me suis engagé dans une association pour les handicapés.

Je vis aussi mes études de médecine différemment. Avant la mort de Martin, ça me saoûlait de devoir aller à l’hôpital tous les jours. Maintenant j’essaye de passer du temps avec les malades, d’apporter quelque chose à chaque patient. C’est l’aspect humain de la médecine qui m’intéresse le plus et je pense peut-être m’orienter vers la médecine générale, en faisant un DU, une petite spécialisation d’urgence, qui me permettrait aussi de travailler dans les Samu. Il me semble que je pourrais aider à sauver des vies, me rendre utile ; c’est sûrement encore un peu lié à la mort de Martin.

Irais-tu jusqu’à dire que la mort de Martin a été "utile" ?

Oui, complètement. Ce drame a permis à beaucoup de jeunes autour de nous de réfléchir, de se poser certaines questions. Il y en a encore beaucoup qui me disent « moi, je n’aurais jamais pu pardonner, j’aurais voulu me venger ». Mais alors on réfléchit ensemble à toutes les conséquences de la vengeance, et finalement on voit que la meilleure démarche pour permettre à la vie de repartir, pour faire avancer la paix et le respect, c’est le pardon.
Cela a aussi changé notre manière de faire la fête. Beaucoup de jeunes, à commencer par moi, ont décidé de moins boire, moins fumer, de moins rôder autour des précipices. On a vu que les excès pouvaient conduire au mal et à la mort alors on essaye de rester davantage maîtres de nous, même si c’est difficile.

Personnellement, plutôt que d’aller dans les boites, je préfère maintenant faire des petits diners-apéros entre amis et privilégier les relations humaines. J’en parle aussi aux gens de ma fac et on organise nos soirées différemment.
Cela peut paraître étrange, mais cette mort nous a aidés à mieux comprendre notre vie."

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8 Juin 2013
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