De jeunes soignants racontent : "J'ai été mobilisé contre le Covid-19"



Durant la crise sanitaire du printemps 2020, des élèves infirmiers ont été appelés en renfort dans les hôpitaux ou les Ehpad. Une expérience bouleversante dont 61 étudiants de l'IFSI de Villefranche-sur-Saône témoignent dans un livre.



Au départ, ils ont vécu les mêmes émotions que des millions de Français à l'annonce soudaine du confinement de mars 2020. Stupeur et inquiétude face à cette nouvelle menace du virus inconnu.

Mais les élèves infirmiers de deuxième année de l'IFSI de Villefranche-sur-Saône comprennent vite qu'ils auront une place particulière dans cette "guerre". 

"J'apprends que des camarades de promo ont été appelés pour être mobilisés. Et pour moi ? Ce sera quand ? Et surtout, où vais-je me retrouver ?", se souvient Axelle.

L'attente anxieuse de leur appel au front

Comme elle, la plupart des élèves attendent anxieusement le coup de fil qui va les envoyer au "front". Incapables de suivre les cours à distance qu'ils continuent à recevoir.

Le mercredi 18 mars, Axelle est fixée : "Mon téléphone sonne. Un numéro inconnu, c'est forcément un établissement : la cadre d'un service m'explique que je commence à travailler demain en tant qu'aide-soignante. Je n'ai jamais travaillé en poste comme AS dans un service hospitalier".

Entre crainte de ne pas être à la hauteur et la fierté d'aider

Dès lors, l'angoisse se mue en une peur récurrente de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir faire. Après tout, ils ne sont qu'à la moitié de leur cursus en trois ans !

D'autres ont peur aussi pour leur famille, comme Marine : "Je ne veux pas les contaminer", écrit-elle. Pourtant, son tour arrive : "Je commence le 10 avril. Dans un service non Covid, la nuit.  J'ai peur, peur car je n'ai jamais été aide-soignante et je n'ai jamais travaillé de nuit. (...)

Je me suis toujours demandé si j'arriverais à tenir, à rester éveillée pour veiller sur les patients. (...) Mais il faut y aller, c'est une fierté d'aider".

La solidarité, maître mot de la situation

Comme tous les débutants, ils ont aussi peur de ne pas trouver leur place, de ne pas s'intégrer dans l'équipe soignante où ils vont être parachutés.

Mais très vite, la plupart sont rassurés. Ils sont bien accueillis, tout de suite intégrés, comme les petites fourmis d'une grande chaîne d'entraide. "La solidarité est le maître mot de la situation, raconte Sirin. Cadres de santé, médecins, infirmiers, aides-soignantes et ASH, nous sommes tous sur un pied d'égalité et prêts à nous entraider".
 
"Intégrée en tant que soignante et non en tant que stagiaire


Il faut dire que les tenues de "scaphandriers" qu'ils doivent revêtir ont raison des habituelles hiérarchies hospitalières.  Camille : "J'ai été intégrée dans l'équipe en tant que soignante et non en tant que stagiaire. 
Et cela en toute confiance.
Tous ensemble nous sommes arrivés à être opérationnels et c'est admirable".

Beaucoup sont aussi touchés par l'élan de solidarité de toute la société : les gardes d'enfants mises en place pour le personnel prioritaire, les distribution de repas. Et les applaudissements, le soir à 20h, qui les aident à tenir le coup après des journées harassantes.

Quand la souffrance gagne les jeunes soignants

Car beaucoup sont aussi submergés par la vague de la pandémie qui emporte de plus en plus d'êtres dans ses flots. Les jeunes soignants affectés en Ehpad assistent, impuissants, à ce naufrage.

Sirin : "Ce matin, je suis allée voir le patient de la chambre 2**, tu sais, celui qui vient pour confusion due au confinement ? Il m'a dit une phrase m'allant droit au coeur: "Vous savez mademoiselle, il n'y a plus rien à faire pour moi, la mort est la seule issue." Le choc et la tristesse m'ont alors submergée. 
C'est avec cette simple phrase, prononcée par un patient désespéré et submergé par la peur que j'ai pu prendre conscience du véritable impact du confinement, que ce soit sur la santé physique mais aussi sur la santé mentale."

Des soldats entraînés, mais parfois désarmés

Ainsi plongés dans cette tourmente, la détresse des patients les atteint sans doute plus vite que les soignants plus âgés. Pas encore "blindés", ils vivent l'empathie sans filtre.

Estelle, en cellule Covid pour "cas suspect" : "J'entre dans la chambre d'une vieille dame. Elle a le regard humide et sur ses joues rosées coulent des larmes. Elle ne peut plus voir ses proches, elle est effrayée à l'idée de contracter le mal dont tout le monde parle. Je tente de lui expliquer que tant que les résultats ne sont pas là, il n'est pas nécessaire de se faire du mouron.
J'ai beau être un soldat et entraînée, je me sens désarmée face à cette épidémie".

Face à la mort omniprésente

Désarmés, ils le sont aussi face à la mort omniprésente. Pour Maud, les nombreux décès constituent les souvenirs les plus durs : "Cette mort, si douce pour certains, si terrible pour d'autres, était l'aboutissement pour beaucoup de patients du service (...)

Les émotions sont d'autant plus dures à encaisser que les défunts sont privés des rituels de deuil appliqués en temps normal :  "Une mise en bière était faite à l'arrivée des pompes funèbres, dans l'enceinte de l'hôpital. Egalement, après la toilette mortuaire, le protocole préconisait d'introduire le corps de la personne décédée dans un sac mortuaire en tissu, fermé pour contenir le virus".

Prendre soin des corps... jusqu'au bout

Et pourtant, les jeunes soignants résistent à cette déshumanisation. Pour eux, les morts du Covid ont une histoire, un visage : "Inconsciemment, écrit Maud, les noms des personnes défuntes dont je me suis occupée lors de la Covid-19 resteront gravés dans ma mémoire".

Julia, en Ehpad, garde aussi le souvenir d'un monsieur, mort le 14 avril, qu'elle affectionnait particulièrement car il était "agréable, drôle, taquin, et aimait raconter sa vie passée".

Sa réaction dit sans doute beaucoup sur le sens des gestes des soignants : "Pauline et moi décidons de nous occuper de sa toilette mortuaire. Pour nous, mais surtout pour moi, c'est un moment pour prendre soin du corps du défunt, un moment pour lui dire au revoir." Et elle ajoute : "Un sentiment d'accomplissement d'avoir pu l'accompagner jusqu'à la fin malgré la situation sanitaire actuelle m'envahit, venant contrebalancer la tristesse naissante de sa mort.

Et mettre des mots sur l'expérience pour soigner les maux

On comprend alors l'idée des formateurs de l'Ifsi de Villefranche-sur-Saône : lorsque les 61 élèves de deuxième année rentrent des neuf semaines "de guerre", en mai 2020, ils leur proposent de mettre en mots ce qu'ils ont vécu.

Les jeunes soignants répondent par une brassée de petits textes vibrant d'authenticité et d'émotion.

Touchés par ce retour d'expérience, les dirigeants de l'Ifsi décident d'en faire un livre, enrichi par les commentaires d'un anthropologue, d'un philosophe et d'une psychologue.

Publiée en mars 2021 aux éditions Héraclite, cette "Première expérience en plein coeur de la Covid-19" est un témoignage rare et précieux sur une période si particulière.
Les élèves ont choisi de reverser intégralement tous les droits d'auteur à l'association JEEP (Jeux Education En Pédiatrie)
 

De l'insouciance de la vie étudiante à la vraie vie

Et ensuite ? Certes, la parenthèse a fini par se refermer. Mais comme le dit Clara, "cela restera une expérience unique".

N'ont-ils pas, en 9 semaines, appris bien plus peut-être qu'en des mois de formation sans histoire ? Ils le disent en tout cas. "J'ai pris conscience que lorsque toutes les forces sont mobilisées et solidaires, nous pouvons faire face à n'importe quelle situation, même des plus dramatiques", a écrit Axel. 

Et plus personnellement : "Je suis passé de la vie d'étudiant à la vie professionnelle, de l'insouciance aux responsabilités, d'un manque de confiance en moi à une assurance et à la certitude d'avoir choisi la bonne profession".

Beaucoup se sont découvert aussi d'étonnantes capacités d'adaptation, ou se disent transformés, comme Sara qui s'est sentie "comme une chenille qui fait sa chrysalide et qui se transforme en papillon". "

La maladie révèle notre vocation à prendre soin de l'autre

Le Dr Jean-Vital de Monléon, pédiatre au CHU de Dijon.
"Ces événements les ont fait GRANDIR !, confirme Jean-Vital de Monléon, pédiatre et anthropologue qui commente dans le livre les témoignages des étudiants. 
D'étudiants souvent couvés, parfois nonchalants, sans doute trop bridés et surveillés, ils se sont retrouvés seuls, parfois même la nuit, à assumer la responsabilité d'un service".

Quant au philosophe Arthur Craplet, il souligne combien la mise au contact de la détresse, la prise de conscience de la fragilité de la vie vient aussi réveiller en nous la responsabilité et le sens de l'autre : "C'est dans la vulnérabilité, logée au coeur de la vie, en son énigme et sa finitude, hantée par la possibilité de la mort, que se révèle notre vocation à prendre soin d'un autre", écrit-il.

Et de conclure : "Dans sa détresse et sa responsabilité, la vie ne nous trahit pas, elle nous adresse un appel silencieux, auquel le risque du soin vient répondre". Un appel que les jeunes soignants ont relevé.

22 Juin 2021
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