Avocat au pénal : défendre les coupables comme les innocents


Diplômé du Barreau de Paris en 2010, Jean-Eloi de Brunhoff a choisi de mener une carrière d’avocat pénaliste dans un cabinet parisien. Ce jeune avocat nous parle de son métier, de ses débuts de carrière et de sa passion pour le droit et la défense des innocents comme des coupables. Interview.



Avez-vous toujours voulu être avocat ?

"J'ai toujours voulu faire du droit, car c'est une discipline qui encadre toutes les relations sociales entre les personnes et les groupes que ce soit dans les entreprises, dans les familles, le monde politique, le système judiciaire… Cela m'intéressait de connaître ces règles.
 
Quant au projet d’être avocat, il a germé en moi au cours de ma première et deuxième année de droit. J’ai également pensé à la magistrature, mais j'ai réalisé très vite que mon vrai penchant était la défense : j'avais envie de servir les intérêts de personnes confrontées à une poursuite ou une accusation.
L'avocat peut leur apporter une aide juridique précieuse et profondément humaine, un peu comme un médecin qui prodigue des soins à un malade.

Et pourquoi ce choix d’être avocat au pénal ?

Sans doute parce que dans les affaires pénales, les enjeux humains sont particulièrement importants : au pénal on risque gros, on peut faire de la prison et jouer une partie de sa vie. Les clients qui viennent nous voir sont donc en situation particulièrement difficile. Ce dont ils ont besoin, c’est d'abord d'un professionnel qui sera efficace au prétoire, qui apportera le bon conseil juridique, c'est capital.

Mais au-delà, la personne qui recourt à un avocat a aussi besoin de nouer une relation, car elle se trouve souvent dans un état de grande vulnérabilité. Sa situation peut être dramatique sur le plan conjugal, familial ou personnel, et le relationnel est d'autant plus important, que la personne soit innocente ou coupable.

Innocent ou coupable : la relation est-elle la même ?

Je ne fais pas de différence entre un innocent et un coupable. Dans les deux cas la personne a besoin d’un conseiller juridique compétent et dévoué, et d'une relation humaine.
Mon expérience est encore courte, mais l'un des premiers dossiers que j'ai eu à défendre était d’ailleurs celui d'un coupable, un retraité de 77 ans accusé d'avoir mis en danger la vie d'autrui en s'amusant à tirer les pigeons sur les toits de Paris. Il admettait sa culpabilité et il a d'ailleurs été condamné. Je l'ai défendu et à la fin, il m'a remercié pour ma plaidoirie mais surtout pour la qualité de notre relation, ce qui était le plus important pour lui.

N’est-ce pas difficile tout de même de défendre un coupable ?

On pense souvent que défendre un coupable est moralement difficile, voire répréhensible. Mais si un client me dit qu'il est coupable, la seule chose que j'ai à regarder comme avocat, c'est s'il existe des preuves suffisantes pour le condamner. Mon travail est en effet d'empêcher une condamnation qui serait fondée sur des éléments insuffisants.

Ne risquez-vous pas alors de faire libérer un coupable dangereux pour la société ?

Attention, en disant cela je ne dis pas qu'il faut laisser les criminels en liberté, ou détruire le cadre social. Mais en faisant mon travail d'avocat, bien au contraire, je protège l'état de droit qui doit permettre à tout homme ou femme de se défendre s'il est accusé.
Et personnellement, je pense qu'il vaut mieux libérer un coupable faute de preuves suffisantes que le condamner. Car si on condamne un coupable sans preuves suffisantes aujourd’hui, alors demain, c'est un innocent que le condamnera sans preuve, et tout le monde sera en danger !
 
La marque de tous les régimes totalitaires, c'est d’ailleurs de ne pas accorder suffisamment de droits aux accusés et personnellement, je n'aimerais pas vivre dans ce type de société. Au contraire, plus une société équilibre les droits entre l'accusation et la défense, plus la décision des juges peut être juste et la société démocratique. En défendant un accusé, je ne fais d'ailleurs que m'appuyer sur des lois qui ont été votées par nos représentants.

Et si votre client est coupable mais qu'il ne vous dit pas la vérité ?

Dans le monde de la justice, il faut être très humble avec la vérité : on ne cherche pas une vérité avec un grand V mais une vérité judiciaire qui n’est qu'un compromis entre des thèses qui s'affrontent : celle de l’accusation et celle de l’accusé.
 
Il y a certes une vérité des faits mais là encore, le client ne me la doit pas. En tant qu'avocat, il y a certes des informations que je dois avoir pour sa défense, mais je dois le laisser me dire ce qu’il veut, je ne peux pas forcer sa conscience car je ne suis ni son confesseur ni son père ou son conjoint.
Cela dit, si je me rends compte qu'un client me ment ou ment au tribunal alors que des éléments matériels l'accablent, mon travail est de lui dire que sa version ne tient pas la route et qu'il va dans le mur.

L’avocat peut-il refuser certains dossiers ?

Oui, c'est une profession libérale et indépendante et statutairement, l'avocat est libre de choisir ses dossiers et donc d'en refuser, même si c'est plus délicat pour un jeune professionnel.
Personnellement, cela ne me dérange pas de défendre le pire des criminels car comme je vous l’ai dit, tout homme a droit à une défense. En revanche, je crois que je refuserai de défendre une personne qui milite pour une cause que je réprouve. Par exemple je refuserais de défendre une secte, parce que je considère cela comme un poison pour la société. De même, je refuserais je pense de défendre une personne qui aurait pratiqué une euthanasie car je ne souhaite pas contribuer à l'avancée de cette cause.
 

Quelles sont les qualités à avoir selon vous pour être un bon avocat ?

Avant tout la rigueur dans le traitement juridique d’un dossier, c'est la première chose que le client attend de nous et les meilleurs avocats sont ceux qui connaissent et travaillent le plus leurs dossiers. C’est toujours un gros travail car il faut s'appuyer sur des thèses, des textes de loi, bâtir des argumentations, mais c'est passionnant sur le plan intellectuel.
 
Ensuite, il faut avoir une bonne écoute du client au sens large, car pour pouvoir le défendre, il faut lui être attentif et savoir créer une relation, même si parfois il faut aussi savoir recadrer un client car l’avocat n'est ni un psy, ni un assistant social.
 
Et puis il faut avoir de la combativité, surtout quand on fait du contentieux. Au tribunal, on doit se battre parce qu'il faut gagner. Il y a un engagement à avoir et qui n'est pas forcément lié à l’éloquence. Le bon avocat n'est pas un beau parleur comme on le pense souvent, mais celui qui apporte le bon conseil, le bon argument au bon moment. Et là, la combativité et la sincérité sont clés ! Il faut parler et se battre avec sa tête et ses tripes, comme si l'on était à la place du client…

Ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

C'est la diversité de ces aspects qui en fait un métier à la fois très riche et très complet. Au pénal, le côté relationnel est passionnant car on rencontre des gens qui ont des trajectoires hors du commun. Sur le plan juridique, j'aime aussi relever des défis et m'attaquer à des dossiers techniquement difficiles, c'est aussi pourquoi par goût, je préfère là encore défendre les coupables plutôt que les victimes. J’aime cette lutte presque physique qui se noue au tribunal : c’est là que le travail de l’avocat trouve tout son sens et, en quelque sorte, atteint son sommet lorsqu’il se dresse entre l'accusateur et l'accusé.

Cela dit, j’ai encore beaucoup à apprendre car les meilleurs avocats sont souvent les plus expérimentés."

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Propos recueillis par Michèle Longour

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