Accepter le regard des autres

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Impossible d'avancer dans la vie sans les autres. Mais comment faire de leur jugement et leur regard un tremplin et non un couperet qui casse. Serions-nous trop sensibles à ce regard ? Explications et conseils de notre psychologue, Isabelle Stoquelet-Dargent.



Aujourd'hui beaucoup de jeunes sont très sensibles au regard des autres et disent même en souffrir, pourquoi ?

"Il y a d'abord l'influence des médias qui pour beaucoup est assez importante. La télévision, la mode, les magazines transmettent des codes sur la manière dont il faudrait être, penser, s'habiller, réussir sa vie en société...Tous ces codes ont tendance à nous formater : ils nous enferment dans un carcan, et si nous nous sentons différents sur un point, cela peut nous inquiéter.

Mais il y a aussi l'image que nous renvoient les autres dans la vie sociale. Les regards mais aussi les paroles de nos amis ou nos collègues de travail nous renvoient à une image de nous-même qui peut questionner, déstabiliser. Si je croise quelqu'un dans la rue qui me dit "quelle allure, celle-là !", ça peut me poser des questions. Au contraire si une amie me dit "tu es superbe, ce matin !", je vais me sentir mieux. Et puis il y a le regard de toute notre famille, et surtout de nos parents qui est fondateur depuis que l'on est enfant. C'est un regard très important qui agit comme un révélateur : il ne nous crée pas, mais il nous éveille à nous-même, il nous permet de nous découvrir et de nous affirmer peu à peu.

Le regard de l'autre peut donc être positif ?

Bien sûr. A l'adolescence notamment, comme on change dans son corps et dans sa tête, on a à nouveau besoin d'être confirmé par le regard de ses parents. On accède à un corps d'homme ou de femme, on forme sa personnalité, ses goûts, et l'on cherche dans le regard de ses parents la confirmation que l'on peut être aimé, même si c'est parfois dans la confrontation ou le conflit. On prend alors confiance en soi grâce à ce regard bienveillant, sécurisant, mais qui doit aussi nous laisser une part importante de liberté et reconnaître notre "originalité" : car chaque jeune a quelque chose d'unique, de spécial, et c'est cette singularité qui est pleine de promesses.

Ensuite, peu à peu, d'autres regards positifs, celui d'un prof, d'un ami, d'un collègue, d'un formateur continuent à encourager et permettent d'aller de l'avant dans la vie, et même, peu à peu, de faire face aux difficultés, ou de rebondir après un échec.

Beaucoup de jeunes nous disent pourtant qu'ils n'ont pas de problèmes avec leur famille mais qu'ils sont paralysés par le regard des autres, pourquoi ?

Il y a des caractères hyper-sensibles qui sont comme de gigantesques paraboles : ils captent tous les signaux que leur envoient les autres (les paroles, les regards, les attitudes, les réactions) mais ils les décodent mal et souvent ils ont tendance à rendre les autres responsables de ce que cela leur renvoie. En fait, ils reçoivent trop d'informations et ne savent pas quoi en faire parce qu'ils ne savent pas qui ils sont. Pourtant la sensibilité est une richesse, mais il faut prendre le temps d'apprendre à se connaître pour pouvoir ensuite "filtrer" et interpréter les remarques des autres.

Mais concrètement, comment faire pour apprendre à se connaître ?

C'est quelque chose qui se fait progressivement avec le temps, mais certains moyens peuvent aider. Déjà on peut discuter avec une personne proche en qui l'on a confiance : un ou une amie proche, un membre de sa famille, un médecin. Il s'agit d'évaluer et de découvrir avec cette personne tout ce qui fait notre richesse, nos atouts. On peut passer en revue tous les moments de notre vie qui ont été importants parce qu'on en a tiré du bonheur, où l'on a été confirmé dans ce qu'on faisait, félicité pour quelque chose, remercié par quelqu'un.

Si l'on n'a personne autour de soi avec qui avoir ce genre de conversation, il ne faut pas hésiter à se faire aider en allant voir un ou une psychologue. Cela m'est arrivé de recevoir des jeunes seulement 2 ou 3 fois pour les aider à se découvrir et ils sont repartis rassurés et confiants en eux-mêmes. Ensuite, on peut, à la fin de chaque journée par exemple, repenser à tout ce qu'on a vécu et chercher les petits événements qui nous ont confirmé, encouragé, dans ce que l'on est ou ce que l'on fait : un travail qu'on a bien réussi, une personne qui nous a remercié, etc. C'est d'ailleurs quelque chose qu'on aura besoin de faire toute sa vie car il faut du temps pour devenir ami avec soi-même.

En s'aimant soi-même, on supporte mieux le regard des autres ?

Oui, car l'on apprend à avoir la juste distance par rapport à l'opinion des autres. Durant toute ma vie, je vais rencontrer des personnes qui parfois vont me mettre en difficulté ou je vais vivre des événements douloureux. Si j'ai une juste estime de moi, je vais pouvoir trier tout cela et me servir de ces expériences pour aller de l'avant. Par contre, si je suis cassé et que je n'arrive pas à me relever, là il faut se faire aider et ne pas rester seul. Peu à peu on apprend à ne pas être trop dépendant, trop collé à l'opinion des autres, sans devenir non plus indifférent car il ne faut pas non plus se replier sur soi et se couper des autres.

N'est-ce pas plus facile d'assumer le regard des autres lorsqu'on devient adulte ?

Bien sûr. En avançant dans la vie, on apprend à mieux se connaître, on cerne ses centres d'intérêt, ses passions. On fait des choix d'orientation, d'études, on acquiert des compétences On apprend aussi à s'ajuster aux autres, on se rend compte de la façon de s'habiller qui nous convient. Et on trouve aussi la bonne distance avec sa famille qui n'est ni dans le copier-coller, ni dans l'opposition systématique.

J'ajouterais un élément important pour prendre confiance en soi, qui est l'engagement. Chacun doit pouvoir donner à sa manière aux autres pour ne pas être toujours celui qui reçoit : créer une association, aider des enfants plus jeunes à faire leurs devoirs, s'engager dans un club de sport... Et cela, on peut le faire dès l'adolescence car cela permet de développer des potentiels nouveaux, des talents. Je me souviens d'un jeune garçon qui avait été jouer de la musique dans une maison de retraite. Le regard des personnes âgées l'avait confirmé dans sa capacité à réjouir les autres. On avance ainsi dans sa dynamique intérieure, il faut simplement s'autoriser à avoir besoin de temps...

Mardi 29 Janvier 2013
Propos recueillis par Angela Dubois
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