Quel est le sens du don ?



A une époque où l’argent régit le monde et où la règle du chacun pour soi s’impose, certaines initiatives redonnent envie de croire en nos co-citoyens. Ainsi le 17 décembre 2007, lors d’une rencontre organisée par la jeune association Conversations Essentielles. Le prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, Emmanuel Faber, haut dirigeant du groupe Danone, Michael Lonsdale, comédien, et l’ancien PDG de Schneider, Didier Pineau-Valenciennes, y conversaient avec quatre jeunes sur le thème du don devant près de 700 personnes.




Dessin de Gabs pour les Conversations essentielles
Dessin de Gabs pour les Conversations essentielles
A deux pas des Champs Elysées, par un soir glacé de décembre, la foule s’agglutine devant le World Place, impatiente d’entrer. Jeunes cadres et bobos trentenaires sont venus écouter Elie Wiesel, très attendu, et surtout débattre de la délicate question du don. Dans une ambiance attentive et concentrée, la relation entre le donneur et le receveur a été analysée sous toutes ses formes : Le don peut-il être gratuit ? Quelle responsabilité engendre le don ? Quelle est la place du don dans la société et dans l’économie ?

Elie Wisel : développer le don que l'on a reçu et en faire un don pour l'autre

Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix
Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix
Dès le premier tour de table, le don apparaît sous sa double acceptation. Pour Elie Wiesel, le don peut aussi être celui de l’écriture, de la guérison, de la compréhension ou de l’art. Il s’agit ensuite de développer le don que l’on a reçu et de le transmettre. En tant qu’écrivain et enseignant, il considère que ces deux activités "expriment un besoin de donner"..
" Il y a deux phases, ajoute-t-il, d’abord recevoir le don et ensuite en faire un don." La relation à l’autre est au centre de l’acte de donner : "J’aime ce qui fait que l’autre soit autre, ajoute-t-il. S’il était moi, je ne m’y intéresserais pas. C’est parce que l’autre n’est pas moi qu’il m’attire et parfois me fascine".

Michael Lonsdale : il est naturel de rendre, de transmettre

Michael Lonsdale
Michael Lonsdale
De sa voix grave d’homme de théâtre, Michael Lonsdale aborde aussi le don comme "quelque chose que l’on reçoit", comme "une capacité spécifique, une possibilité très personnelle pour une fonction. Je crois que quand on a reçu, il est naturel de rendre." Et lorsque Jenifer, apprentie journaliste, s’interroge sur ce qui fait que l’on est plus ou moins enclin à donner, le comédien répond que c’est l’amour que l’on a reçu étant enfant. Le don devient transmission. " Mais attention, prévient Didier Pineau Valenciennes, ce qui est difficile, c’est de transmettre sans imposer, il faut laisser à l’autre la liberté de choix".

Emmanuel Faber : donner, c'est forcément un échange

Emmanuel Faber, dg délégué chez Danone
Emmanuel Faber, dg délégué chez Danone
Emmanuel Faber, directeur général délégué de Danone, se dit très concerné par la question du don depuis son adolescence. Il préfère aborder le débat sous l’angle de la réciprocité : "Je suis persuadé que la recherche du don comme acte gratuit est une recherche qui va contre la vie. Le don est un échange". La formule interpelle et dans la salle, plusieurs personnes réagissent. Nestor, un jeune qui vient de monter une association d’appel au civisme en banlieue : " Moi, j’ai un problème avec la gratuité du don. Si le don est gratuit, est-ce la peine de le donner ?". Pour Elie Wiesel, la question est sans appel : "Rien n’est gratuit dans la vie, ni dans le bien, ni dans le mal, parce que je ne suis pas seul dans le don. " Plus concrètement, Didier Pineau Valenciennes, fondateur de diverses fondations d’entraide, et Emmanuel Faber livrent leurs expériences personnelles. Le directeur de Danone raconte son séjour à New Delhi, chez les sœurs de Mère Térésa. Parti pour donner, confronté à un sentiment d’inutilité et rentré en se disant qu’il n’avait finalement donné qu’à lui-même… Accepter le don comme échange, quel qu’il soit. "C’était une vraie paralysie de vouloir poser un acte gratuit quand je donnais. Donner, c’est forcément un échange puisque je reçois la vie".

N'ayez pas peur de donner, et surtout, n'ayez pas peur de recevoir

Dessin de Gabs pour Conversations Essentielles
Dessin de Gabs pour Conversations Essentielles
Pourtant, pour beaucoup, le don pose question : porte-t-on la responsabilité du don si l’on s’est trompé ? Aurore et Nestor évoquent la notion de culpabilité : comment aider quelqu’un lorsqu'on est soi-même dans des situations confortables ? La générosité n'est-elle pas souvent manipulée ? Que peut-on donner à ceux qui ont si peu reçu qu’ils veulent prendre ? Le don n'est-il pas une forme de pouvoir, un moyen de se réparer narcissiquement ? Enfin, si le don permet de payer moins d’impôts, où est la vérité du don ?
Face à une génération qui appréhende de se tromper en donnant mal ou pour de mauvaises raisons, les "sages" répondent de façon unanime en prônant la générosité avec vigueur. Elie Wiesel répond à Nestor : « A-t-on le droit de se servir du mal pour faire le bien ? A-t-on le droit de culpabiliser quelqu’un pour le rendre généreux ? Il faut d’abord penser à celui qui a besoin de cette aide. » Il raconte pourquoi il donne systématiquement au mendiant, sans se soucier de savoir s’il va acheter de l’alcool ou de la drogue : "Je ne suis pas responsable de ce qu’il fera de mon don, je suis responsable de sa faim. L’important c’est de donner". Didier Pineau Valenciennes encourage une générosité spontanée, et déplore la mentalité française qui préfère s’en remettre à l’Etat, contrairement aux Anglo-Saxons, qui donnent souvent et beaucoup : "Il faut donner sans regarder, quand on pense que le don aidera quelqu’un ou un groupe à progresser et à réaliser leurs espoirs. N’ayez pas peur de donner, mais surtout n’ayez pas peur de recevoir." Et les autres de renchérir : "est-ce mal de donner pour se faire du bien à soi même ?" (Emmanuel Faber) "Il vaut mieux donner et être un peu fier de soi, que de ne pas donner". (Michael Lonsdale).

La générosité a-t-elle sa place en entreprise ?

Enfin, la question de la générosité est posée dans le cadre de l’entreprise. Comment une structure qui a pour fonction de gagner de l’argent peut-elle donner sans rien attendre en retour ? Comment être généreux dans une société qui pousse à la rentabilité ? Plus qu’une simple réponse, Emmanuel Faber propose de changer radicalement notre vision de l’économie. Selon lui, le monde de la finance a totalement déconnecté de la réalité et ce divorce mène notre modèle économique dans le mur. La pression des marchés financiers pousse les entreprises à prendre des décisions à court terme, sans prendre en considération la réalité sociale. La solution serait de reconsidérer l’entreprise sous l’angle d’une gestion plus saine et plus durable, dont le succès ne se mesurerait pas à ses simples profits mais à aussi à ses réussites sociales et sociétales. Le don, toujours perçu comme un échange, y aurait alors une place de choix…


Prochain débat des conversations essentielles :
- Un "café nommé plaisir", plaisir et bonheur, le 15 mai à Paris.

Sonia Buchard

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